Madame Perrucheau

—Tu te souviens de madame Perrucheau ?

A chacune de nos rencontres annuelles, c’est immanquable, il faut que quelqu’un – celui qui soudain s’était tu, oublieux du brouhaha ambiant, pour contempler d’un air rêveur la fenêtre entrouverte – il faut toujours que quelqu’un se tourne vers son voisin, pour demander, d’une voix qui tremble un peu :

—Tu te souviens de madame Perrucheau ?

Et, bien que la question ne s’adresse en apparence qu’à ce voisin qui lui aussi se met à regarder d’un air rêveur la fenêtre entrouverte, tous, brusquement, se taisent à leur tour et écoutent.

La question n’est jamais posée tout de suite, bien sûr. Mais, quand le repas est déjà bien engagé, que les faces épanouies des convives se sont enluminées d’alcool, et de la joie enfin retrouvée d’être ensemble, il arrive toujours qu’un instant de silence se pose sur l’un d’entre nous, tout doucement, comme l’aile un peu fraîche d’un ange qui se serait glissé, soudain, par la fenêtre légèrement entrouverte. Et la question se forme sur ses lèvres, sans même qu’il l’ait voulu. 

Jamais il ne revient au même de l’énoncer. Jamais non plus il ne revient au même d’y répondre. Il arrive souvent que personne, finalement, n’y réponde. Mais il faut que la question soit formulée. Car elle est entre nous comme un signe de reconnaissance. La question du problème. Celle qui nous soude autour du vieux secret. Celle qui justifie, sans que nous ne nous le soyons jamais dit clairement, ces réunions annuelles d’anciens camarades que tout paraît aujourd’hui séparer.

Tout, sauf cela.

Chaque année, au mois de juin, au restaurant Dupont, nous nous réunissons donc, nous, les anciens de Marmitier, « la classe 65 », comme nous disons, bien que peu d’entre nous aient vraiment fait leur service militaire. Au restaurant Dupont – ou plutôt « Chez Carmen », puisque c’est ainsi qu’il se nomme désormais, ce restaurant que nous fréquentons maintenant depuis plus de vingt ans.  Il est rare que quelqu’un décline l’invitation, bien au contraire la plupart font l’effort de venir de loin, de très loin même parfois, suspendant pour pouvoir nous rejoindre des occupations souvent importantes. Tant d’entre nous occupent en effet aujourd’hui ce qu’on appelle de « bonnes situations  » – ces situations prestigieuses que devait nous garantir notre séjour coûteux au pensionnat Marmitier. Même s’il est à noter que plusieurs ( est-ce lié au secret que nous partageons ? je me le suis souvent demandé) ont par là suite bizarrement « décroché », pour dévier vers des destins improbables d’artistes en insuccès, d’avocats de causes perdues, ou d’explorateurs de confins sans retour.

Nous mangeons, nous buvons, nous échangeons des nouvelles. Puis, vers le dessert, parfois un peu avant, quand l’alcool et l’habitude retrouvée d’être ensemble l’ont enfin rendue possible – ou simplement nécessaire – quelqu’un prononce la question rituelle, en regardant d’un air rêveur la fenêtre que nous demandons toujours à laisser entrouverte.

—Tu te souviens de madame Perrucheau ?

Et tous nous reposons nos verres et nos fourchettes. Tous, nous écoutons, attendant anxieusement une réponse que personne, probablement, ne formulera, parce que nous la partageons tous.

Comment aurions-nous pu oublier ?

Tout est resté intact dans nos mémoires, intact, pur et incandescent, dans l’éclat net d’un jour de mai parfumé de tilleul.

Madame Perrucheau…

Madame Perrucheau, au temps où nous étions élèves au pensionnat Marmitier, était notre professeur de mathématiques.

C’était une petite femme aux jambes maigres et sèches dressées sur des escarpins haut perchés si usés que le cuir dessinait comme des griffes ses orteils déformés par l’oignon qui la tourmentait. Une étrange et fragile créature, au nez aigu et courbe, à la voix sifflante et pointue, qui se teignait les cheveux en jaune et se vêtait toujours de couleurs vives.

Entre deux âges, auraient dit les adultes, elle était pour nous sans âge aucun, insignifiante et, malgré son goût pour les teintes criardes, aussi terne et transparente que peuvent l’être ceux qui ne comptent pas. Car nous le savions très bien, déjà, dans ce microcosme qu’était notre petit pensionnat huppé, qui comptait ou ne comptait pas. Alors, la Perrucheau… à peine si nous la regardions, malgré son aspect physique si singulier, sauf parfois pour la caricaturer sur un coin de cahier. 

Elle ne comptait pas, celle-là, c’était une évidence. Elle comptait pourtant admirablement bien, se passionnant pour les chiffres et les calculs compliqués. La géométrie surtout la plongeait dans une sorte d’extase. Nous ricanions lorsqu’elle agitait ses bras maigres pour tracer dans les airs les lignes parfaites des figures de Thalès ou de Pythagore comme elle aurait tracé le signe de la croix.

Hélas, madame Perrucheau ne faisait pas de conversions. Nous passions tous nos cours de mathématiques à bavarder ou à nous chamailler. C’était, dans la salle de classe parcourue d’un envol permanent de boulettes, de cartouches d’encre et d’avions en papier, un vacarme de volière qui obligeait quotidiennement le directeur, monsieur Marmitier – le dieu monumental et barbu qui était également notre professeur de latin – , à s’introduire parmi nous, tonnant comme Jupiter, pour rétablir l’ordre et le respect dû aux mathématiques, ainsi qu’à son coûteux établissement.

Après son départ, bien entendu, les boulettes recommençaient à voler comme des mouches, et les bavardages enflaient en essaims énormes, impatients d’avoir été interrompus.

Alors, madame Perrucheau s’asseyait en pleurant, gémissant qu’il fallait être sages, ou au moins faire semblant de l’être, surtout quand le pas lourd de monsieur Marmitier faisait grincer le parquet du couloir. Parce qu’elle risquait fort, sinon, d’être renvoyée.

Renvoyée ? la Perrucheau ? bon vent ! Rien ne nous était plus indifférent.

Qu’elle pleure et qu’elle gémisse ! nous ne l’en méprisions que plus et les boulettes se dirigeaient en escadrons serrés, frelons impitoyables, vers son visage rougi de larmes.

Certains même, les plus insolents, les plus impitoyables, ceux qui ne se contentaient pas de profiter de sa faiblese pour s’amuser, mais se plaisaient à la torturer, se réjouissaient tout haut de son départ aussi inévitable que prochain, et lui criaient grossièrement de partir sur le champ, de « dégager », clamant qu’il fallait se débarrasser des incompétents, que les lois de la vie et de la sélection naturelle l’exigeaient.

Un jour, même, la petite Fèvre – elle prétend ne plus s’en souvenir, mais plusieurs d’entre nous se le rappellent très bien… Un jour, la petite Fèvre, donc, avait fait passer une pétition demandant le renvoi de la pauvre madame Perrucheau. Presque tous l’avaient signée. La feuille était finalement, dans l’excitation générale, tombée sur le plancher, presque aux pieds de la malheureuse. Madame Perrucheau s’était penchée vers le papier maculé de nos signatures, elle avait levé vers nous, incrédule, sa petite tête triangulaire, puis, de ses doigts aux ongles aigus et soignés, elle l’avait ramassée. Un grand silence avait régné dans la classe, un silence si inhabituel que certains avaient commencé à rire nerveusement. Madame Perrucheau s’était assise, elle avait lu longuement la pétition, très longuement, très attentivement, puis elle s’était redressée sur son bureau, avait paru méditer, et avait commencé à plier le papier.

Ses doigts minces et agiles avaient d’abord plié la pétition en deux, puis en quatre, et en huit. Puis elle s’était trouvée pliée en forme de bateau. Ensuite, sans qu’on sût bien comment, le bateau était devenu un avion. Et cet avion lui-même était devenu mongolfière. Enfin la mongolfière s’était transformée en oiseau. Alors madame Perrucheau s’était levée, et, rêveusement, l’avait lancé à travers la classe. L’oiseau était si parfaitement affilé et si géométriquement équilibré qu’il avait traversé la pièce entière, suivant une ligne droite aussi longue et impeccable que celles que madame Perrucheau traçait au tableau noir, et il était allé se percher sur l’armoire du fond. Juste au point E, milieu de AB – la droite qui formait le rebord effilé du grand meuble.

Quand monsieur Marmitier avait ouvert brusquement la porte, sans frapper, comme il le faisait toujours, il avait été stupéfait de trouver la classe plongée dans le silence, et madame Perrucheau dressée sur son estrade, un léger sourire de satisfaction flottant sur ses lèvres minces.

Surpris, il nous avait félicités, et était ressorti en refermant la porte tout doucement. Ce n’est qu’un peu après, lorsque son pas s’était éloigné dans l’escalier, que nous avions tous éclaté de rire. Jamais la pétition de la petite Fèvre n’était arrivée jusqu’à son bureau. Suspendue sur son nid du point E, milieu de AB, dans un équilibre parfait qu’un observateur ignorant aurait pu croire précaire, elle n’était jamais retombée, et avait continué longtemps à veiller sur nos chahuts, de ses clairs yeux d’oiseau de papier, si haut perchée et si gracieusement élancée vers le vide, qu’aucune femme de service n’avait jamais osé approcher d’elle son escabeau pour la décrocher.

Cependant les années passaient, notre niveau en mathématiques s’effondrait, le faux plafond de la classe s’était changé en une splendide tapisserie de cartouches d’encres incrustées et de boulettes de couleurs variées, et les incursions de monsieur Marmitier dans nos cours se faisaient de plus en plus fréquentes et de plus en plus tonnantes. Pourtant, on ne renvoyait jamais madame Perrucheau.

Qui aurait pris sa place ? Pour un salaire dont la maigreur étique était attestée par l’usure de ses jupes et les déchirures de ses bas, elle devait assurer, outre ses étranges cours de mathématiques, toutes sortes de tâches ingrates que les autres enseignants refusaient. Je me souviens, par exemple, qu’elle était chargée de taper chaque semaine les vingt pages de notre journal – celui qui confirmait chaque semaine à nos parents notre bouillante créativité et l’excellence des méthodes Marmitier -, qu’il fallait imprimer sur ces affreux carbones qu’on appelait alors des stencils, avant de les passer à la machine à alcool.

J’entends encore – nous l’entendons tous – le crépitement des touches sous ses doigts secs.

Je sens encore  – nous la sentons tous – l’odeur de l’alcool à brûler, dans le réduit sombre et sale où elle officiait, tournant la manivelle pour faire paraître un à un les feuillets bleuâtres et humides qu’elle faisait sécher sur un fil avec des pinces à linge, puis qu’elle se chargeait aussi, ensuite, d’agrafer et de mettre sous enveloppes.

Où logeait-elle, lorsqu’elle quittait l’établissement où elle passait toutes les nuits de l’année scolaire, nous surveillant aussi mal qu’elle assurait ses cours ? Avait-elle seulement un logement quelque part ? Avec qui vivait-elle ou ne vivait-elle pas ? Quels avaient été ses rêves ? Quelles passions l’avaient un jour dévorée, ou au contraire dédaignée, pour la laisser ainsi desséchée ?

Cela ne nous intéressait pas, à l’époque dont je parle. Elle n’était et ne pouvait être pour nous que madame Perrucheau, la créature ridicule et vieillie qui ne tentait même plus de nous intéresser aux mathématiques, qui nous laissait organiser des combats d’oreillers dans les chambres, et se voûtait plusieurs heures par semaine sur sa machine à écrire pour taper le stupide journal du collège sur un rythme de pic-vert. Allegro prestissimo, tacatacatac.

Sans doute aurions-nous pu percevoir quelques indices, remarquer une évolution. Car de telles choses, après tout, ne se produisent pas en un jour, mais sont toujours l’aboutissement d’une lente transformation. Mais madame Perrucheau n’était pas quelqu’un que nous pensions à observer. Madame Perrucheau n’était même pas quelqu’un. Tout au plus une créature familière, pitoyable et méprisée, qui s’agitait sautillante et menue devant le tableau noir, traçant de ses bras déployés des chiffres immenses et des figures infinies qui seules la consolaient de notre indifférence.

Tout au plus avions-nous noté qu’elle était de plus en plus maigre, de plus en plus légère sur ses escapins de plus en plus élimés où ses orteils griffus se dessinaient de plus en plus curieusement. Que son nez se faisait plus aigu et plus courbe. Que sa voix s’effilait en notes de plus en plus sifflantes. Que ses bras dessinaient dans les airs des figures de plus en plus incompréhensibles et dansantes qui semblaient l’emporter de plus en plus loin de nous. 

Mais que nous importait ? Elle était de plus en plus Perrucheau, voilà ce que nous disions d’elle, et puis nous reprenions le cours de nos querelles, de nos amours et de nos cancanages.

Nous étions en troisième et le printemps avançait, nous approchant du Brevet. Deux fois par semaine, maintenant, monsieur Marmitier résigné mais toujours tonnant venait prêter main forte à madame Perrucheau. Le jeudi et le vendredi, à 11 heures, la porte s’ouvrait brutalement, il entrait, tonnait, et commençait aussitôt à distribuer avec solennité les exercices de révision, tandis que la Perrucheau, à petits pas sautillants, se démultipliait et s’égaillait entre les rangs, tentant désespérément de nous aider, de nous gazouiller au passage des bribes de solutions auxquelles nous ne comprenions rien…

Ce jour-là – c’était un vendredi, selon la plupart d’entre nous… pourtant, je me demande si ce n’était pas un jeudi, car je me souviens très bien d’avoir pensé, après, à cette curieuse expression « la semaine des quatre jeudis ». Mais c’est sans rapport aucun, évidemment… Ce jour-là donc, qui était un beau jour de mai dont le parfum de tilleul au soleil montait vers nous par la fenêtre grande ouverte, monsieur Marmitier s’était mis si fort en colère, en prenant la mesure de notre abyssale ignorance, qu’il avait saisi par un pan de sa robe rayée de jaune et de vert la Perrucheau qui gazouillait près de la fenêtre ouverte, et qu’il s’était mis à la secouer, à la secouer, à la secouer, à la faire zigzaguer dans toutes les directions de la foudre, en hurlant : « Je vous renvoie, cette fois, je vous fous dehors, vous entendez, dehors ! Cette fois, vous dégagez, vous dé-ga-gez ! Dehors, la Perrucheau ! Dehors ! »

Alors… alors…

Alors la Perrucheau, comme ça, Pfuuuittt, toute légère, presque gracieuse, s’était dégagée de la poigne épaisse de monsieur Marmitier, et elle avait sauté, d’un coup, comme ça, sans hésiter, toute légère, presque charmante, pfuuuittttt, dans sa robe jaune et verte, par la fenêtre grande ouverte.

Nous nous étions mis à crier, certains que les lois de la gravité que nous avait si durement enseignées monsieur Marmol, notre sévère professeur de physique, allaient entraîner une affreuse tragédie, mais… non, la Perrucheau n’était pas retombée. Son petit corps vert et jaune ne s’était pas écrasé tout sanglant, comme nous l’avions imaginé avec une joie inavouable, sur le goudron de la cour.

Non, elle avait tendu loin en avant ses bras maigres, pour tracer dans le ciel avec ses manches vives de vastes figures géométriques, elle avait tendu au bout de ses pattes maigres ses escarpins déformés par les orteils en griffe, et sa robe jaune et verte s’était mise à battre comme un beau drap d’été emporté par le vent, et elle s’était mise à voler, oui, à voler, à voler vers le parc, à voler vers l’horizon, lentement, souplement, suivant l’imperceptible et impeccable ligne qui dirige dans le ciel le vol des oiseaux en voyage.

Tous, nous l’avons regardée. Et il nous semblait que nous aussi nous volions derrière elle, traçant enfin là-haut pour elle ce beau triangle aigu des oiseaux de passage qui naviguent ensemble.

Monsieur Marmitier regardait lui aussi. Médusé. Paralysé. Incapable soudain de mouvoir son corps de géant lourd.

Enfin il s’est souvenu qu’il était Jupiter et non un quidam susceptible d’être pétrifié par une absurde prouesse aérienne.

Il a marché, de son pas le plus ferme et le plus solennel, vers la fenêtre qu’il a refermée. Derrière la vitre inondée de soleil, nous avons encore aperçu un petit point jaune et vert en forme de 8 allongé qui s’éloignait, s’éloignait, s’éloignait si vite et si loin que nos coeurs en tremblaient – l’Infini !

Puis monsieur Marmoutier s’est retourné vers nous :

—Puisque votre professeur, devançant mes ordres et confirmant sa totale incompétence aux fonctions qui lui étaient imparties, a choisi de se volatiliser, c’est moi, votre directeur et votre professeur de latin, qui assurerai jusqu’au jour de l’examen votre cours de mathématiques. 

Et la classe a repris, dans un silence religieux, à peine troublé par les coups d’oeil que nous ne pouvions nous empêcher de jeter vers la fenêtre refermée désormais toute tachée des nuages soudain amoncelés dans le ciel qui noircissait.

Cette année-là, les résultats au Brevet furent exceptionnels. 

Du sort de madame Perrucheau, il ne fut plus jamais question.
A nos parents, monsieur Marmitier avait simplement expliqué que, notre professeur de mathématiques s’étant volatilisée sans explication, il avait dû la remplacer au pied levé – ce furent ses termes exacts. Ils en avaient été bien sûr très satisfaits, les étrangetés perrucheaudiennes les ayant quelque peu inquiétés – même s’ils étaient de ceux qui ne parlent guère plus de deux fois l’an à leurs enfants et ne se souviennent de leur existence qu’au moment d’ouvrir les enveloppes émanant des autorités scolaires.

Et nous, qui savions bien que madame Perrucheau s’était envolée, même la nuit, loin de monsieur Marmitier, dans les chuchotements de l’internat, nous n’osions pas chercher l’explication manquante. Qu’avait-elle espéré, la Perrucheau, en prenant son envol ? Et comment avait-elle appris à voler ? Etait-elle retombée, à la fin, avait-elle fini par se briser sur le sol ? Avait-elle heurté les sombres nuages qui s’étaient soudain accumulés dans le ciel parfumé de mai ? Ou bien avait-elle continué son vol, tout droit, comme un oiseau guidé par la lumière, vers l’Infini, infiniment ? Ces questions agitaient nos rêves,  et plus encore nos insomnies, mais nous nous taisions tous, certains que nous étions que de telles questions ne pouvaient surgir que des réponses emplies de désordres et de mystères inconcevables qu’aucune loi mathématique ou marmitière n’encadrerait jamais.

Alors, aujourd’hui que le temps a passé, que tout cela est de l’histoire ancienne, que plus rien de vraiment dangereux ne peut plus en sortir, chaque année, nous nous réunissons, nous les anciens de la classe 65, et, immanquablement, quand l’alcool et l’excitation d’être de nouveau ensemble ont produit leur effet, quelqu’un qui se taisait en regardant d’un air rêveur la fenêtre entrouverte, soudain demande à son voisin, d’une voix qui tremble un peu :

—Tu te souviens de madame Perrucheau ?

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8 commentaires pour Madame Perrucheau

  1. almanito dit :

    La femme oiseau a laissé derrière elle une lourde charge de mauvaise conscience si ce n’est de culpabilité à la classe 65…
    J’ai compris qu’elle s’envolerait au moment où tu as parlé des griffes. Les êtres isolés et vulnérables n’ont qu’une seule possibilité de réagir dans ce genre de situation, on voit souvent dans la presse des personnes qui « s’envolent » tragiquement.

  2. Corine dit :

    La cruauté qui s’entraîne à des sauts périlleux – pour les autres – à l’adolescence est, je crois, éternelle. Les jugements que l’on révise, des années plus tard : « oh m.. ce qu’on était c…quand même ! » avant de rire encore, plus faiblement, nostalgiques de cette jeunesse et de cette rosserie. Madame Perrucheau n’aurait pas « volé », son image ne se serait refermée que sur un souvenir rapide, de pitié dégoutée. Et pourtant le portrait qui en est fait en donne une femme que je dirais tellement d’exception. Il serait étonnant que quelqu’un l’ait attendu au vu de ses efforts et de son rythme de vie, de sa pauvreté consentie. Mme P. Elle donne tout et n’en veut à personne. Si les belles situations sont celles qui comptent, alors Madame Perrucheau n’existe pas. Si sa science, dont l’enseignement devrait être reconnu comme une belle situation dans cette société, si son intelligence et visiblement son originalité étaient notées, Madame Perrucheau aurait 19,5/20. Une âme scientifique ,généreuse (qui aide ceux qui la brime, ça franchement il faut le faire quand même) et artiste. Elle portait les couleurs de sa vocation. Normal qu’elle se soit envolée, la bêtise étant si lourde. Un portrait dur, bien dressé, qui donne à rougir, même aux innocents.

  3. Corine dit :

    tellement exceptionnelle, voulais-je dire ! 😉

  4. jill bill dit :

    Ben comment ne pas s’en souvenir !!!!!! Pauvre d’elle dépassée par la classe 65….

  5. La Baladine dit :

    Entre drame et poésie, c’est un joli portrait que tu nous fais là, d’une âme grande, belle, dévouée mais ignorée, méprisée, prisonnière d’un petit corps d’oiseau malingre. La cruauté égocentrique de la prime adolescence fait le reste. Ils ont de quoi rester marqués…

  6. Aloysia dit :

    Que tu écris bien, Carole…

  7. Quichottine dit :

    La chute était inattendue… j’ai eu peur qu’elle s’écrase sur le sol… mais je préfère de loin qu’elle se soit volatilisée au sens propre.
    Les ados sont cruels… mais ton récit est magnifique, comme toujours.

  8. mansfield dit :

    Un conte féerique, une belle anecdote scolaire presque aussi vraie que nos souvenirs d’école forcément édulcorés et réinventés

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