La pente

C’est un pays de montagne. Un beau pays où le ciel n’est jamais loin de la terre.

La maison que nous louons pour les vacances est à l’entrée du village, dans la vallée principale, au bord de la rivière, tout en bas d’une pente. De l’autre côté de la pente, dans la petite vallée où coule un torrent maigre, se trouve cette ferme où on nous vend le lait.

Chaque soir, je prends mon vélo pour aller à la ferme et ramener le lait, dans le pot de métal qui bringuebale comme une cloche en heurtant le guidon. Nous aimons le lait pur, odorant et mousseux qui vient de cette ferme où chaque vache a un prénom, où chaque clarine est une note dans l’harmonie du soir.

Une côte à monter, une pente à descendre. Une côte à remonter, une pente à redescendre. C’est un bon trajet, un salutaire exercice de vacances, dans le doux tintement du pot à lait de métal.

Quand j’arrive au milieu, tout au haut de la côte, toujours je m’arrête un peu. La vue est si vaste, si belle. En bas s’étend notre vallée, avec ses maisons minuscules et ses humains en pointillés. En haut grandissent les sommets, avec leur pelage de neiges et de glaciers. Et les nuages en longues îles flottent sur l’air bleuté. Il me semble toujours que le monde entier se tient là, devant moi, terre, ciel et eau, paysage parfait où tout trouve son ordre. 

Il y a eu là, sur ce qui n’est plus aujourd’hui qu’une corniche aride ombragée d’une ruine, près du vieux banc assis un peu penché comme un homme méditant, dans un petit jardin soigné comme un tableau de maître, une maison de bois aux grands volets toujours ouverts. De ces volets comme on en voit là-bas, peints de rayures courbes et colorées qui les font ressembler à des ailes de papillon. 

Un solide vieillard cultivait le jardin, habitait la maison, revernissait le banc, repeignait les volets. Un brave homme cordial qui aimait bavarder et qui me faisait toujours signe, comme à tous les passants, de m’asseoir sur son banc. Je m’asseyais. Il venait s’asseoir près de moi. Nous parlions un moment, ou bien nous regardions au loin, pensant aux mêmes choses.

Je m’arrêtais deux fois. Une fois à l’aller, une fois au retour. Un peu plus longtemps au retour. Je posais mon vélo dans l’herbe. Le pot à lait sonnait en heurtant le sol. Puis il n’y avait plus à écouter que le silence, vaste et bleuté, à peine troublé par le crissement d’un insecte, ou par le tintement lointain des clarines. Je me disais que ça valait la peine de monter des côtes. Que ce serait dommage de redescendre tout de suite. Mais déjà il me faisait signe, je poussais la grille toujours ouverte. La clarine suspendue au montant accompagnait ma marche, j’allais m’asseoir sur le banc où le vieil homme me rejoignait bientôt.

La première année, j’étais si jeune. Je montais d’une traite la longue côte. J’étais à peine essoufflé en arrivant là-haut. Et si je m’arrêtais, c’était seulement pour le bonheur du panorama. Pour rien au monde je n’aurais voulu manquer la vue de la vallée, dans la tiédeur du soir, quand le soleil presque tombé à terre roule comme une houle sur l’ombre rougie des montagnes. Mais de fatigue, il n’était pas question, en ce temps-là.

Le vieil homme était au jardin, à bêcher ou à désherber. Un grand bonhomme de montagnard, fort et tanné comme un vieux cep, acharné à faire verdir et fructifier le morceau de corniche aride où il avait posé sa vie.

Il finissait son carré, posait sa bêche, essuyait sur son « bleu » ses mains terreuses, venait s’asseoir près de moi, soufflait en épongeant la sueur sur son front. Nous bavardions longtemps. Il me montrait les montagnes, nommant chaque rocher, expliquant les glaciers, indiquant le chemin des ruisseaux et celui des troupeaux. Il me racontait la vallée et ses gens – les vivants et les morts du cimetière. L’en-haut, l’en bas, le présent, le passé : il semblait tout savoir.

Je le quittais à regret, et je lui demandais toujours, avant de m’en aller, s’il avait besoin que je lui monte quelque chose, des provisions, des outils, ou s’il voulait que je lui descende une lettre, un message. A son âge, il devait lui paraître haut perché, l’étroit sommet où il avait posé son nid.

« C’est vrai, répondait-il, c’est vrai que c’est haut ici pour un vieux comme moi. Rude côte, n’est-ce pas ? Et qui me semble de plus en plus rude, chaque fois que je la monte. Le poids du temps sur les épaules, vous comprendrez cela plus tard. Mais je peux encore m’en débrouiller. Et j’espère pouvoir m’en tirer tout seul encore longtemps. Pas besoin d’un commissionnaire, pas encore… D’ailleurs, la côte, j’aime la monter. Après toutes ces années je continue à trouver merveilleux d’être toujours capable de grimper. Ce qui m’est difficile, maintenant – cela va sans doute vous surprendre – ce qui en viendrait presque à m’effrayer, c’est la descente. C’était pourtant ce que je préférais, autrefois, descendre… je m’élançais, jamais je ne retenais mon pas, je m’offrais à la pente comme si aucune chute ne pouvait me guetter, comme si j’avais eu devant moi l’infini… Mais maintenant… j’hésite et je trébuche, je me défie de mes forces… je crains – à vous je peux bien l’avouer – je crains de disparaître, dans ce grand élan noir de la pente qui nous emporte irrésistiblement, quand l’âge est venu. Croyez-moi, c’est à la descente qu’il faut prendre garde, quand les jambes fléchissent et que les jours s’accumulent sur le dos qui se voûte. A la descente… « 

Cela le faisait rire que je hausse les épaules. « C’est que vous êtes encore jeune… Mais vous vous souviendrez, plus tard… la descente, répétait-il, avant que je n’enfourche mon vélo, la descente, c’est le plus dur, faites attention, n’oubliez pas… » 

C’était un très brave homme, un sage à sa façon, et, s’il radotait un peu quelquefois, on pouvait bien le lui pardonner, à son âge… Je montais comme une alouette, alors, en zigzags élégants et allègres, mais ma plus grande joie, c’était vraiment de redescendre, heureux et rapide comme un aigle, sûr de ma force et de tous mes réflexes, la pente immense et libre.

La deuxième année – ma femme était enceinte et tout près d’accoucher, je me hâtais cet été-là, qu’elle ne reste pas seule – je ne m’arrêtais plus aussi longtemps là-haut que l’année précédente. Juste le temps de jeter un coup d’oeil au loin, et de prendre note de tout ce dont le vieil homme avait besoin. Car il ne refusait plus mes offres, la deuxième année. Il avait tant vieilli. Il ne jardinait plus. Son grand corps lourd s’était voûté et ralenti. Il me guettait toujours, cependant, sortait sur le pas de sa porte pour me faire signe, puis s’asseoir près de moi, sur le banc recouvert de mousses et cerné d’herbes grises. Nous échangions quelques mots. Puis je me levais, pressé, j’emportais une lettre, une commande pour l’épicerie, ou un petit message pour celle qu’il appelait sa fiancée – une vieille silencieuse qui vivait au village dans une petite chambre, au-dessus du café où elle avait longtemps servi. J’attrapais mon vélo, le pot à lait se mettait à tinter, et lui, déjà si loin, il me faisait un geste lent de la main, il riait comme avant, et il criait en me voyant si vif : « Attention à la pente, jeune homme, c’est la pente le plus dur, n’oubliez pas, c’est de la pente qu’il faut se méfier. Vous comprendrez, plus tard. Mais pour l’instant, envolez-vous, et à demain. »

La troisième année – notre enfant était né, je ne m’arrêtais plus que pour la forme, quelques instants à peine, le temps de dire bonjour – le vieillard ne sortait plus. Je toquais au volet. Il roulait son fauteuil, et je le voyais apparaître, son beau visage posé dans l’ombre comme dans un cadre. Incapable désormais de marcher, il ne quittait pas la maison, il restait là, dans son fauteuil, derrière la fenêtre aux volets ternis. Je me penchais contre la vitre et je criais – car il était devenu sourd, aussi. La fiancée du café avait cessé de vivre, et une femme – une cousine qui devait hériter – venait chaque matin lui apporter ses provisions et s’occuper du ménage. Si bien qu’il n’avait plus grand chose d’autre à me demander qu’un peu de tabac qui lui était interdit. Mais ma hâte le désolait : il aurait eu tant à me dire. Son regard m’appelait, je détournais la tête. Je n’aimais pas, en cette année où notre enfant ouvrait si grand ses yeux si bleus, voir sur ses yeux de vieux cette taie blanche, poussée sur ses prunelles comme le lichen sur le banc délaissé. Alors, pour que je ne parte pas aussitôt, il me faisait des signes, toutes sortes de signes, des signes de bienvenue, des signes interrogatifs, des signes méditatifs, des signes encore qui voulaient dire la pente, et d’autres qui voulaient dire attention. Il ne s’exprimait plus autrement. Il paraît que quelque chose avait éclaté dans sa tête, et qu’il ne savait plus parler. J’avais bien du mal à le comprendre. Et puis j’étais toujours pressé, cette année-là, l’année où mon premier enfant allait avoir un an.

L’année suivante, notre deuxième enfant était né seulement un mois plutôt, j’étais las des nuits sans sommeil. Je m’asseyais un moment sur le banc, heureux de souffler un peu, évitant de songer, lâche que j’étais déjà devenu, à ma femme épuisée aux flancs déformés, restée toute seule, en bas, avec les deux marmots. Le vieillard m’attendait comme avant, assis devant la fenêtre sur le fauteuil qu’on lui installait là pour la journée, maintenant qu’il ne savait plus le pousser lui-même. Son pauvre corps figé n’essayait plus même de façonner les mots avec ses mains tremblantes. Pourtant, curieusement, alors que nous ne semblions presque plus pouvoir communiquer, je commençais à deviner des choses, toutes sortes de choses qu’il avait à m’apprendre. Je me sentais bien près de lui. Quand je me levais pour partir, à la fin, en guise d’adieu sa main droite s’agitait, s’inclinait, de toutes ses forces essayait de me dessiner le mot « pente », tandis que les doigts de sa main gauche légèrement dressés s’épuisaient à me dire « attention ». Ses yeux morts souriaient. Je souriais aussi. Je criais comme toujours : « Pas de souci, grand-père ! » et cela semblait l’amuser toujours autant.

L’année qui vint après – c’était déjà la cinquième année que nous venions en vacances dans ce pays – nos deux enfants avaient beaucoup grandi, ma femme avait démesurément grossi, je n’étais plus si mince, et les premiers cheveux blancs nous étaient venus à tous deux. Je ne sais pas pourquoi ils arrivent si tôt. Je grimpais toujours mes côtes vaillamment, malgré tout, et je descendais toujours mes pentes d’un beau vol plané de mon vélo noir, avec mon petit pot à lait, mais je ne m’asseyais plus sur le banc vacillant dont les pieds s’effondraient, devant la fenêtre aux volets mi-clos. Je poussais la porte toujours ouverte de la maison du vieil homme. Il était là, dans l’ombre, couché et paralysé tout à fait. Définitivement sourd et muet. Il paraît que quelque chose d’autre avait éclaté dans sa tête. Que la cousine qui venait le matin venait aussi le soir pour le nourrir, le laver, le coucher, que ça ne pourrait plus durer mais qu’il refusait obstinément de quitter sa maison, son jardin, sa vue sur le monde bien en ordre – les neiges en haut, les humains tout en bas dans leurs maisons en points de suspension, et la brume au milieu, la brume, l’immense brume des montagnes…

Longtemps, longtemps, je restais à ses côtés, debout, sans parler. Le silence nous unissait. C’était un silence qui disait tant : la montagne, la vie, la vieillesse, l’affection qui avait fini par grandir entre nous. Tout cela. Et beaucoup plus encore. Tout ce qui se dit mieux sans parler, nous nous le disions ainsi. Je ne repartais qu’un peu avant l’heure du repas, quand j’entendais s’arrêter sur la route la camionnette qui déposait pour une heure la cousine venue l’aider.

Le signe désormais unique qui voulait dire la pente, qui voulait dire attention, qui voulait dire pas trop vite, il ne parvenait plus qu’à peine à l’inscrire dans la pénombre. Mais je le déchiffrais toujours au mouvement léger de son poignet, à l’éclat moqueur de ses yeux sous la taie de neige éternelle. Et je disais, blagueur, comme autrefois, tout doucement, en articulant fortement, pour qu’il puisse le lire sur mes lèvres : « Pas de souci, grand-père, je sais bien où je vais. »

Mais l’année suivante – je crois que je venais déjà depuis six ans en vacances dans ce pays si rude. L’année suivante… j’ai eu un choc le premier soir où je suis allé, comme tous les ans, chercher le lait à la ferme : la maison de la côte était à vendre. Les volets rayés s’étaient fanés tout à fait, fermés, cloués comme des ailes de papillons morts sur la page brunie d’une collection défunte. Il paraît que quelque chose avait encore éclaté dans la tête du vieil homme, et qu’il avait rendu l’âme dans ce dernier éclair. On l’avait enterré tout en bas, au village, dans une tombe étroite où l’herbe folle remuait la terre battue. La cousine n’avait pas hérité assez, sans doute, pour gaspiller l’argent en posant sur son ventre pourri ce couvercle de marbre dont on recouvre les morts riches, pour qu’ils se gardent au sec au fond de leur cercueil. Un petit noisetier qui s’était semé là s’accrochait à la croix de bois blanc tombée tout de travers. C’était encore son âme, peut-être, qui voulait se dresser, pour revoir la montagne.

Devant la porte close de la maison d’en-haut, le banc s’était tout à fait effondré, et n’était plus qu’un petit tas de bois gris dans le pré d’herbe brune qui avait remplacé le jardin.

Je me suis assis sur les planches. Et chaque soir je suis revenu m’asseoir là, comme avant.

Je regardais la vallée, essayant de me souvenir de tout ce qu’il m’avait montré. Essayant de retrouver les paroles et les gestes, les bribes qui me venaient du vieillard. Il avait bien dû me parler de cela aussi, de la mort, de la disparition. De la solitude. Non… je ne savais plus, mon esprit s’embrumait de tristesse et d’incompréhension face aux montagnes acérées qui saignaient dans le gris les longs soleils du soir – avant de les coucher, vaincus, sous la pierre noire de l’ombre.

La côte m’a paru bien plus dure cette année-là. Et la pente, oh, la pente – était-ce parce que mes jambes s’engourdissaient, à rester trop longtemps sur le tas de planches humides qui me servait de banc ? – la pente, au retour… qu’elle était donc difficile ! J’ai commencé à comprendre qu’il avait peut-être eu raison, le brave homme.

Chaque année, ensuite, je suis passé et repassé devant la maison toujours fermée,  toujours à vendre.

Il y a bien trente ans maintenant que je viens ici en vacances. On distingue encore la carcasse du chalet, là-haut, malgré le mélèze qui se dresse en travers du toit. Les volets où l’on a cloué des planches gémissent au vent comme des ailes usées sur un moulin en ruine. Sur la porte est toujours accroché le panneau « A Vendre », seulement l’encre s’est effacée, et il ne reste que les deux montagnes inversées du A et du V, d’un gris tout emperlé d’humidité sur l’écriteau pourri devenu illisible. J’ai souvent essayé d’entrer. Mais la porte est encore solide, elle, et la serrure est fermée comme un poing sous sa croûte de rouille. Il paraît qu’on en avait perdu la clé dès la mort du vieil homme, qu’il l’avait mise certainement à l’avance, malicieux comme il l’avait toujours été, dans la poche du beau costume dont la cousine l’avait revêtu, pour le coucher dans sa caisse, avant de l’emmener, dans la camionnette de son mari, pour l’enterrement, à l’église d’en bas. 

Je reste tout l’été en vacances dans ce beau pays de montagne, maintenant j’ai le temps, avec ma femme plus très jeune, sans les enfants qui sont partis. Trente ans que je vais chercher mon lait à la ferme, chaque soir de l’été. Les gens de la ferme ont bien vieilli, ils parlent de retraite. Et moi je ne pédale plus aussi vite. Quand je m’arrête pour souffler, assis sur le vieux banc, là-haut, que j’ai réparé et reverni moi-même, je songe à m’installer sur cette hauteur où tout semble si simple et nécessaire : les sommets transperçant les nuages en manteau blanc d’éternité, les hommes en pointillés dans les vallées d’en bas, et la brume infinie qui peint le monde en sfumato. Je songe à bien des choses que le vieux m’a apprises, avec ses mots, avec ses signes que je parviens enfin à déchiffrer. Je songe aussi à toutes ces choses qu’il ne m’a pas transmises, parce que je comprenais si mal ses mots trop rares et ses signes maladroits. Je me dis qu’il faudrait rester là, toujours, pour tout comprendre enfin. Rebâtir la maison du vieux tout autour de la porte. Travailler au jardin comme lui, s’acharner à faire fructifier la pierre aride, les yeux tournés vers les sommets. Enseigner aux passants à regarder le monde, en attendant que quelque chose, enfin, éclate dans ma tête, m’éclairant à jamais d’un éclair magnifique. Mais ma femme n’est pas d’accord. Elle préfère les vallées. Elle a besoin de la Ville, dans l’ennui des hivers. Alors je redescends, aussi lentement que je peux. 

Peut-être que moi non plus, après tout, je ne suis pas fait pour vivre toujours là-haut.

La côte me semble de plus en plus rude et m’épuise. Presque toujours je finis de la grimper à pied, tout essoufflé, en tenant mon vélo.

Mais le plus dur, c’est vrai, maintenant, c’est la pente.

Car il avait raison. Tellement raison.

Monter, ce n’est rien malgré la fatigue qui gagne. On aime toujours à monter, à se hisser, même dans la sueur et dans l’effort.

Mais descendre, oh, descendre, c’est si vertigineux. On essaie de ralentir, de freiner et de faire des détours. Descendre, cela va tellement vite. On pourrait disparaître dans un repli du temps tellement on va vite.

Si encore on n’était pas seul. Si on pouvait, avant de s’élancer, rencontrer le regard d’un sage, si on avait, pour nous faire signe et nous encourager, un vieillard attentif et sachant les choses.

Mais descendre ainsi, seul, dans le vent froid, ne plus pouvoir entrer dans la maison ruinée aux volets déchirés comme des ailes arrachées.

Et savoir que la clé est perdue, et qu’on l’a enterrée avec lui, en bas, dans le petit cimetière où sa tombe a déjà disparu, mangée d’orties et de pissenlits, dans l’ombre lourde et grise de la montagne bleue.

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11 commentaires pour La pente

  1. almanito dit :

    Belle leçon de vie. Il ne pouvait pas comprendre ce que lui disait le vieux montagnard tant que lui-même n’avait pas atteint un certain âge. Les descentes deviennent de plus en plus âpres lorsque l’on comprend enfin qu’il ne reste plus beaucoup de pentes et encore plus vertigineuses le jour où l’on sait que c’est la dernière. Ce jour-là, on essaie de tout voir, de tout retenir du paysage, mais nos yeux nous trahissent.

  2. eMmA MessanA dit :

    Si longue qu’a été la montée, il faut freiner dans la descente…….

  3. jill bill dit :

    Un jour ou l’autre on devient… l’autre, joli texte, merci Carole…

  4. Aloysia* dit :

    Au début, je voudrais pouvoir commenter chaque phrase, chaque paragraphe, tellement c’est beau… Carole, te lire est toujours un enchantement. Mais c’est long, il y a toute une histoire, et souvent elle devient triste ! La vieillesse est un thème récurrent dans tes écrits, et je dois dire que cette fois elle n’est pas si triste, car c’est toute cette sagesse, cette transmission de la sagesse qui ressort. Il est vrai qu’en vieillissant on redoute plus les descentes, où les muscles risquent de lâcher, de vous faire faux bond, ce qui entraîne alors des chutes plus dangereuses que celles provoquées par les montées… Mais on sent que, comme toujours dans tes textes, il y a un sens profond à découvrir, une seconde lecture que tu éclaires de plus en plus – celle à laquelle faisait allusion Richard Strauss dans « une symphonie alpestre » : lorsque nous montons, nous allons vers notre propre accomplissement, vers le dépassement de nous-même, vers un état de contemplation d’où le monde paraît petit et lointain ; et la descente, c’est comme d’être happé, englouti par les contingences d’un univers porteur d’oubli et de mort. Une belle histoire de transmission, de paternité, d’apprentissage…

    • carole dit :

      Merci Aloysia d’avoir pris du temps pour réfléchir à mon texte, et en « révéler » le sens – allégorique – dans ton très beau et minutieux commentaire !
      Une explication de texte comme on en rêve. Je n’avais pas pensé à la symphonie alpestre de Strauss, mais mon récent voyage en Suisse m’a remise en phase avec l’expérience romantique et nietzschéenne aussi de la montagne.

  5. hamza dit :

    Bonjour Carole – Un beau récit que je viens de lire là. Comme toujours, et dès qu’on commence à parcourir ligne de vos écrits, je suis comme attiré. Je ss là à lire; à déchiffrer; à essayer de comprendre; à faire le lien. Mais c’est beau ce que je lis. Je n’ai pas d’autres mots à ajouter car Mme Aloysia a tout dit dans son commentaire.

  6. Cendrine dit :

    Le temps de l’expérience dessine ses pleins et ses déliés sur la route…
    Des premières vacances pleines de vie et de fièvre amoureuse aux décennies qui s’écoulent avec cette rencontre initiatique et un effet miroir… bien que chaque expérience soit personnelle en bout de course.
    Un texte magnifique que j’ai savouré en réfléchissant au fil de la vie, merci Carole
    Cendrine

  7. mansfield dit :

    Le cycle de la vie, être et devenir, regarder tourner la roue et tourner avec elle… Et pourtant parfois, prendre le temps de s’arrêter, de se regarder pris dans les rayons de la roue! Quel beau programme tu nous décris…

  8. Quichottine dit :

    Je te lisais et je réfléchissais… tu vois, l’un de mes voisins est « parti » avant-hier… et il était si jeune encore ! Il aurait pu grimper encore tant de chemins…

    Il a transmis à ses enfants beaucoup, mais sans doute pas assez encore. Ils sont trop jeunes.

    Là… je me dis en te lisant que la vie nous pousse toujours à aller plus vite, à délaisser parfois l’essentiel sans savoir que nous n’aurons plus jamais le temps ou la possibilité de rebrousser chemin, de retrouver ces moments de contemplation ou d’échanges plus ou moins silencieux.

    Alors… peut-être faut-il un jour voler ce temps, décider que l’important est là, au milieu d’un paysage où l’on se sent bien, tellement bien, qu’aucun mot ne peut le décrire tout à fait.

    Mais toi, tu vois, Carole, toi, tu as su m’y emmener. Merci.

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