Casimir

Nous, on y a jamais cru.

Quand ils sont venus l’arrêter, qu’on l’a vu descendre de sa camionnette, tendre les mains vers les menottes, et puis s’asseoir dans le fourgon des gendarmes, sans protester, sans se cacher le visage comme ils font tous… Quand on l’a vu partir, tranquille, poli, exactement comme il était toujours, on a été stupéfaits – non, c’est pas un mot assez fort, stupéfaits – on a été secoués, on a été saisis, on a été… enfin, ça nous a fait comme un coup sur la tête, un coup de masse, un coup de feu, un coup de tonnerre… ça nous a fait un coup, quoi. Un de ces coups… ! Comment vous expliquer ? Parce que ce gars-là, on le connaissait par coeur, il était comme nous exactement, ce gars-là. Il venait de loin, il avait vu des choses qu’on avait pas idée, on le savait bien, mais il était tout comme nous quand même.

Un vrai copain, on mangeait ensemble, on buvait ensemble, on se marrait ensemble, on jouait aux cartes ensemble… Alors les gendarmes, les menottes, le panier à salade… ça nous a fait un sacré coup… pour nous, c’était pas possible, un truc pareil, juste pas possible.

Ensuite, quand on a su ce qui lui était reproché, là, on a été… on a cru qu’on était devenus fous, ou plutôt qu’ils étaient tous devenus fous. Parce que c’était dans tous les journaux, le lendemain, l’histoire, comme un vrai événement, ça faisait les gros titres à la télé aussi, un truc de fou : « Un criminel de guerre arrêté à B. Il y menait, sans se cacher, une vie tout à fait ordinaire… » et caetera et caetera. Et de raconter comment nous on s’était aperçus de rien, comment il s’était intégré, comme ils disaient, sans aucun problème, comment il était même devenu conseiller municipal, après sa naturalisation…

C’était tellement trop, qu’on y a cru, sur le moment, qu’ils allaient forcément le relâcher tout de suite. Puisque c’était écrit dans tous les journaux, qu’il se cachait pas, qu’il était comme tout le monde, qu’on aurait jamais pu le distinguer d’un autre gars du village s’il avait pas eu son accent. Puisque tout le monde était d’accord pour le dire, que c’était un gars sans histoire, on a cru qu’ils allaient sûrement le comprendre vite, qu’y avait eu maldonne, que c’était pas lui le bon, enfin je veux dire le mauvais gars qu’ils cherchaient… Cétait tellement évident que s’il avait été un criminel de guerre traqué, il se serait caché, qu’il aurait pris un faux nom, qu’il aurait mis de la distance, qu’il aurait eu un air fuyant, qu’il aurait pas été le bon copain franc et souriant qu’il était… qu’on aurait tout de suite flairé l’anguille sous roche ? c’était tellement évident, non ?

Alors on gardait espoir. On se disait qu’une erreur, ça se corrige, et qu’on finit toujours par s’en apercevoir, d’une erreur. On se disait que ça allait s’arranger, puisqu’il était pas celui qu’on croyait qu’il était, mais qu’il était un autre… un autre, quoi, c’était tellement évident, qu’il était pas le bon ! Le Casimir qu’on montrait dans les journaux, personne aurait pu le reconnaître ici, c’était pas du tout le nôtre, pas du tout. Est-ce que nous, on en aurait fait un bon copain, de notre Casimir, s’il avait été un bourreau et un tortionnaire, comme ils disaient ? Bien sûr que non. On est pas plus bête qu’ailleurs, ici, on sait juger les gens.

De temps en temps, il venait des journalistes au village, ils nous interrogeaient, on refusait jamais de répondre, au contraire, on prenait le temps, on leur offrait le café, on leur expliquait, on leur racontait comment il était, en vrai, Casimir, on insistait autant qu’on pouvait, parce qu’on pensait que ce qu’on disait aux journalistes, ça devait bien d’une façon ou d’une autre s’en aller jusqu’aux juges… Et on gardait espoir. 

Mais les mois ont passé et ils l’ont quand même gardé. On a fini par comprendre que ça s’arrangerait pas. D’abord on a appris qu’on l’avait envoyé là-bas. Pour être jugé par ce grand tribunal, vous savez bien, le tribunal spécial pour les pires bandits du monde entier, pour tous les contre-l’humanité. Notre Casimir…

Et puis un soir à la télé, ils ont dit comme ça qu’il avait été condamné. Pour de bon. Ils ont même passé un documentaire, juste après, où ils montraient des horreurs où il avait été mêlé, qu’ils disaient, et même des abominations qu’il aurait faites tout seul de son propre chef, soi-disant. Dans le film on voyait des gens qui gardaient des condamnés en buvant et en rigolant, et puis des cadavres en tas. Des tas, des tas, ça n’en finissait pas, ces tas de cadavres, posés comme des tas de bois dans une forêt qu’on vient d’abattre. On voyait aussi des soldats qui tiraient sur des gosses, et qui se marraient parce qu’ils chiaient dans leur froc… des crânes brisés posés sur des tables… ce genre de choses… des choses, que personne aime voir ni savoir.

Mais nous, on a quand même enregistré le docu pour en avoir le coeur net. Et, je vous jure, on a eu beau rembobiner plusieurs fois la cassette, on en voyait, des gars, sur les images, qui se ressemblaient tous et qui avaient vraiment des airs de tueurs et qui fanfaronnaient avec leurs kalachs, seulement notre Casi, non, nous, on a jamais pu vraiment reconnaître notre Casi. Y en avait bien un grand, très grand, aussi grand que lui, qui plastronnait avec ses armes, qu’on voyait tout le temps, qu’ils appelaient par son nom comme si ça avait été vraiment lui, et qui aurait pu si on voulait vaguement lui ressembler, mais il était maigrichon comme tout, ce grand gars-là, et même en mettant sur pause on arrivait pas bien à distinguer son visage. Et comme il mâchait tout le temps du chewing-gum, on arrivait pas trop à reconnaître sa voix non plus. Si on l’avait reconnu formellement, d’accord, mais là, rien que des images floues de gars tout minces qui tressautaient, et des voix qu’on y comprenaient rien toujours doublées par un interprète, ça nous a pas trop convaincus. De toutes les manières, Casi, il en mangeait jamais, de chewing-gum.

Vous allez me dire qu’il avait pu changer de tête, avec le temps, Casi. Grossir et tout. Et même grossir exprès pour pas qu’on le reconnaisse. Et arrêter le chewin-gum comme on arrête la clope.

On y a pensé, figurez-vous. On est pas plus idiots que d’autres.

Mais même en admettant… y avait trop de morceaux qui collaient pas, dans cette histoire… c’était comme un puzzle qu’on aurait pas pu remettre les morceaux en face parce qu’ils seraient tombés de  plusieurs images qu’auraient rien eu à voir. C’était comme si le Casi qu’on connaissait avait rien à voir avec le Casi qu’ils avaient condamné. Comme s’il avait pas été une personne mais deux complètement différentes. Et ça, c’est juste pas possible. Les gens sont ce qu’ils sont et s’ils deviennent autrement, ils continuent à se ressembler – et vicié-vers ça, non ? 

Tous les jours, on en parlait, les copains moi, tous les jours, on essayait de comprendre, on y mettait de la bonne volonté, on essayait de faire comme si c’était bien lui le tueur et qu’il y aurait eu moyen de rattacher ce salopard-là au Casi qu’on avait bien connu. 

Mais comme on y arrivait jamais, à mettre bout à bout ces deux Casi là, que c’était contre-nature, qu’ils étaient pas du même puzzle, on continuait à réfléchir, on essayait de comprendre comment ça se faisait qu’ils se soient trompés comme ça, là-bas, dans leur tribunal spécial. Une idée qui venait, forcément, c’était que c’était peut-être justement parce qu’il était tellement gentil, qu’on l’avait pris, lui, plutôt qu’un autre. Parce qu’il était tellement calme, notre Casimir, tellement docile, qu’il était sûrement même pas capable de se défendre. D’autres fois, on se disait que c’était pas seulement une erreur, une homonymie ou quoi, que ça devait être plutôt une machination. Parce que dans ces pays-là, vous savez, ils en ont, des comptes à régler. Faut bien que certains paient pour d’autres, hein, vous savez ce que c’est, la politique, surtout après une guerre. Même ici après la guerre, ça a pas toujours été joli-joli, les règlements de compte, les anciens en connaissent des drôles d’histoires pas claires qui sont arrivées. Ils ont pas envie d’en parler, ça se comprend, mais ils savent. C’est pas jo-jo, les guerres…

Pour moi, Casimir, si vous voulez savoir comment je vois les choses après y avoir tellement réfléchi, des années réfléchi, pour moi, Casi, finalement, c’est pas ce qu’on a dit un contre-l’humanité, comment il pourrait être un contre-l’humanité, un brave homme comme lui qui aime les gens d’ici et qui les respecte ?  non, Casi, pour moi… je vois que ça d’explication, c’est une victime de la guerre.

Y a que cette vision des choses qui tient la route. L’autre, je peux pas la comprendre, c’est pour ça que je suis sûr qu’y a eu maldonne. Ce qui est possible, on peut toujours finir par le comprendre. Ce qu’on peut pas comprendre même après des années, c’est juste impossible. Point.

Et c’est juste impossible, que notre Casi soit un monstre comme on a dit : Casimir, avec ses deux mètres de haut et son bon mètre de large, il est impressionnant, d’accord, mais il fait peur à personne, Casimir jamais un mot plus haut que l’autre, Casimir l’ami des enfants, Casimir toujours gentil et poli même avec un coup de trop, c’est pas ça, un criminel de guerre. Casimir, c’est une crème, un bon nounours, un copain super, voilà qui c’est, Casimir.

De toute façon, la guerre, il nous en a jamais parlé. Jamais. Au début quand il est arrivé, qu’on disait encore l’Etranger quand on parlait de lui, si quelqu’un mettait le sujet sur son pays, sur les problèmes qu’il y avait eu par chez lui, juste par curiosité, ou pour l’asticoter, lui, il se taisait. Il faisait ses yeux vides, et celui qui l’asticotait en était pour ses frais. Ou alors, si l’autre insistait vraiment, il répondait que c’était du passé, la guerre, qu’il fallait passer à autre chose, à la paix, à l’avenir, à la réconciliation. Et il se mettait à parler de la paix, il s’emballait, on l’arrêtait plus, il aimait tellement parler de la paix. Tandis que la guerre, Casimir, ça a jamais été son truc, ça lui a jamais plu d’en parler. Il a préféré l’oublier, la guerre, c’est clair, plus y penser.

Alors que s’il avait fait tout ce qu’on a dit, il en aurait, des souvenirs, qui déborderaient tout le temps tout pleins de sang, et des cauchemars. Des cauchemars sans arrêt, dès qu’il fermerait les yeux, des cauchemars comme des fantômes, il en dormirait plus, jamais, il dormirait plus jamais. Tandis que notre Casi, non, il dort, faut voir… y a pas meilleur dormeur. Il se couche, et hop, il ronfle ses neuf-dix heures. Des fois même il s’endort assis devant son jeu de cartes. Il se sent fatigué, hop, il ferme les yeux et il s’endort. D’un coup.

Un gars qui dort comme ça, c’est forcément un brave gars. Vous pourrez pas m’ôter ça de l’esprit. Le sommeil du juste, on dit, c’est pas pour rien.

Son vrai prénom, c’est pas Casimir, vous vous doutez, son vrai prénom, c’est un nom de là-bas en -mir qu’on est jamais arrivé à bien prononcer. C’est pour ça qu’on s’est mis à l’appeler Casimir. Avec sa taille imposante, ça allait de soi. Au début quand il s’est installé au village, qu’on le connaissait pas, qu’on entendait son accent plein de cailloux, on disait juste : « Tiens, L’Etranger, qu’est-ce qu’il nous veut, l’Etranger ? « Et puis à force de le fréquenter au café ou chez Marcelin son patron, on s’est mis à le saluer comme un copain : « Bonjour Casimir, comment ça va Casimir ?  » Casimir, c’était vraiment le nom qu’il lui fallait. Parce que c’était le bon géant, le bon gros qu’on avait envie de tutoyer, d’appeler d’un nom marrant. C’était tellement fait pour lui ce nom-là, que quand il a rempli ses papiers de naturalisation, il a mis Casimir comme nouveau nom français. Casimir, c’était vraiment devenu son nom.

Un copain-né, Casi, on peut le dire… le genre qui peut pas rester dans son coin, qui supporte pas la solitude. Fait pour être dans un groupe, se marrer avec les autres, boire avec les autres, vivre avec les autres, entraîner les autres. Les autres, y a que ça qui compte, pour lui, on peut dire. Il est plus que sociable, Casi, c’est un copain-né. Je vous demande un peu, un tueur, est-ce que c’est sociable, comme ça ? hein ?… C’est un loup solitaire, non, un tueur ? Rien à voir avec un bon copain.

C’est pas seulement un bon copain, d’ailleurs, Casi, c’est aussi un bon professionnel. Un excellent maçon. Un type super sérieux, hyper habile, qui fait son boulot toujours réglo. Il a d’abord bossé pour Marcelin, comme je vous ai dit, Marcelin le maçon, pas Marcelin l’électricien, Marcelin le maçon. Puis il s’est installé à son compte, après le décès du patron, avec les gars de l’équipe qui sont tous restés avec lui, parce qu’ils l’estimaient, qu’ils avaient confiance. Vous pouvez leur demander, encore maintenant, après les histoires, ils vous diront tous la même chose : Casimir, c’est un bon patron, réglo, efficace, qui aime le travail bien fait. Un type fiable. Complètement fiable. Vous lui donnez un boulot à faire, Casi, il le fait tout de suite impeccable, mieux et plus vite que tout le monde. C’est pas un bandit, c’est pas un sadique, ils vous le diront tous comme moi. Bien sûr, maintenant, il a plus d’ouvriers, Casi, il fait plus que des petits boulots par ci par là, parce qu’il a jamais pu vraiment relancer sa boîte d’avant. Mais c’est toujours un super maçon. En plus d’être un copain incroyable.

Un matin, par exemple, je me lève, je retrouve mon mur de clôture complètement défoncé. Une voiture qui avait reculé dedans puis qui s’était carapatée sans laisser d’adresse, vous pensez bien… Bon, notre Casimir, il passe par là, il voit ça, il descend de sa camionnette, on était un samedi matin, je me souviens parfaitement parce que c’était juste la veille du baptême de ma nièce, lui, il passe par là, il me voit bien embêté, il baisse sa vitre, il me dit : « Je rrrepasse cet aprrrès-midi avec le matérrriel » – il roule les rrr faut l’entendre, Casi, on le charrie un peu là-dessus. « Je rrrepasse et je te le rrrefais, ton murr. » L’après-midi, il est revenu, il a tout remis en état, il m’a pas fait payer. Il a juste dit  en rigolant : « Tu m’offrirrras un bon rrrepas chez Lili ». Vous voyez le genre que c’est, Casi, le gars qui vous rend service tout de suite, qui se fait même pas payer. Et la meilleure, c’est que la bagnole qui avait défoncé mon mur, il l’a retrouvée, Casi, l’arrière enfoncé, dans une cour de ferme. Je peux vous dire que le propriétaire a passé un sale quart d’heure…

Il est comme ça, notre Casimir, serviable, bosseur, efficace. 

Alors quand on a appris, pour sa peine de prison, quand on a vu comment on le montrait, à la télé, comme une bête, comme un nazi, comme un salopard répugnant, comme un voyou sans foi ni loi…

« Le bourreau d’Itsudove », ils disaient, « le scorpion déchaîné », « le boucher de Voïnarat »… quand on a vu comment ça s’arrangeait pas pour lui, et qu’on a compris qu’on risquait de jamais le revoir, on a décidé de faire quelque chose. Parce que c’était pas juste, vous comprenez, qu’il soit montré du doigt partout comme ça et nous avec, il fallait qu’on répare. On s’est réunis un soir chez monsieur le maire, y avait Ferrand le maire évidemment, Fred l’adjoint qu’est notre boulanger, Jean-Jacques mon meilleur pote, qu’est comme moi conseiller municipal et retraité d’A.L.C.O., et moi – faut bien sûr pas m’oublier. On a discuté un moment de tout ce qui s’était passé, on a bu un peu, on s’est exalté, et c’est là qu’on a pris la décision : quand il sortirait, on irait le rechercher là-bas, nous, et on le ramènerait ici où il avait refait sa vie et où il pourrait la reprendre juste où elle s’était arrêtée, cette vie qu’il s’était refaite, comme un Français qu’il était devenu, vu que l’Etat français lui avait donné sa naturalisation juste avant de l’arrêter. 

On lui prêterait un bâtiment pour qu’il reprenne son boulot de maçon, ou bien on se cotiserait pour lui louer quelque chose, enfin on se débrouillerait pour le loger – parce que tous ses biens avaient été saisis, vous pensez bien, entre-temps, tous, la camionnette, le matos professionnel, la petite maison qu’il avait retapée, il restait rien, rien de rien. Donc nous, on l’aiderait à rebondir, on lui montrerait qu’il gardait notre confiance. C’était tout simple. 

Dix-huit ans, il avait pris. C’est long, dix-huit ans. Mais un gars en or comme Casi, on savait bien qu’il aurait des remises de peine, qu’il ferait au plus douze ans. Douze ans de trop, d’accord, mais douze ans qui sont pas toute une vie.

Voilà comment ça s’est fait, le retour de Casi, vous comprenez. On l’avait décidé entre copains, et on a tenu parole.

Ça pas été aussi simple qu’on pensait, parce qu’ici certains étaient contre nous, ceux qui s’étaient laissés influencer par les journaux, la télé, tout ça, on peut pas l’empêcher. Même ma femme, par exemple, et celle de Jean-Jacques, elles étaient contre, parce que ça les avait impressionnées, tout ce qu’on avait dit. 

Mais nous, on a tenu bon. C’était important pour lui, qu’il sache qu’on gardait confiance, qu’on avait pas peur, et c’était important aussi pour nous, peut-être même encore plus pour nous, parce qu’on pouvait pas admettre qu’on nous dise comme ça qu’on avait vécu avec un criminel sans s’en rendre compte. Notre copain, un criminel ? ça aurait voulu dire quoi ? que nous aussi, on aurait pu être des criminels, peut-être, ou quoi ?

Alors quand il a appelé, un beau jour, de là-bas, on a eu à coeur de tenir parole. Une façon, peut-être bien, d’effacer le mal commis par l’amitié. Enfin, quelque chose que je saurais pas tout à fait vous expliquer mais qui nous a rendus têtus, même si des fois on a eu des doutes. Parce que des doutes, on peut pas s’en empêcher, d’en avoir, des fois, même quand on est sûr des gens comme de soi-même. Vous connaissez l’histoire du grand saint Thomas et des doutes qu’il a eus comme un autre…

Evidemment, les journaux en ont pas parlé, de notre élan de solidarité, comme ils aiment bien dire pourtant d’habitude, pas comme de l’arrestation de Casi. Ils montrent toujours que le mauvais, dans les journaux, le bon ils savent même pas le voir. Mais nous, on s’en fichait qu’on en parle ou pas, c’était une affaire entre nous, et on l’a menée comme on se le devait. Ferrand, notre maire, a pris contact en tant que maire avec les avocats de Casimir – deux, il en avait, des nuls mis d’office, parce que personne voulait le défendre, vu son dossier. Des connards qui voulaient qu’il plaide coupable. Coupable ! on en a pleuré quand on a appris qu’ils le lâchaient comme ça. Plaider coupable, pour alléger sa peine, qu’ils disaient, et faire acte de repentance, c’était un deal qu’ils avaient imaginé, mais ça allait loin quand même. Lui, il a hésité. Finalement il a pas accepté. Il a préféré prendre plus cher.

Qu’est-ce qu’on aurait fait, sinon ? Je peux pas vous dire… Nous, de toute façon, on avait notre conviction qu’était comme une religion. On a pu lui écrire en prison pour lui expliquer qu’on croyait pas ce qu’on racontait, et lui exposer nos projets pour après. Il nous a répondu dans une très belle lettre qu’il nous remerciait et qu’il était d’accord pour rentrer au village reprendre sa vie avec les copains. Et je vous prie de croire que c’est pas un « bourreau d’Itsudove » « un boucher de Voïnarat » ou un « scorpion déchaîné » qui aurait pu s’exprimer comme ça. Parce que ça s’exprime pas comme un brave homme, un bourreau, un boucher, un scorpion… Je pourrais vous montrer la lettre, c’est moi qui l’ai chez moi, elle me fait toujours monter les larmes aux yeux quand je la relis, tellement qu’elle est belle…

Et quand il est sorti, au bout de treize ans tout de même, parce que là-bas, ils ont pas été foutus de le relâcher avant, alors qu’y avait contre lui que des témoignages, des tas de témoignages, d’accord, des volumes et des volumes, mais toujours rien que des témoignages auxquels on peut faire dire ce qu’on veut… Bon, quand il est enfin sorti, il nous a prévenus. Nous, à ce moment-là, on y pensait plus vraiment, faut avouer, à Casi, depuis toutes ces années, on avait vieilli comme tout le monde, on était passés à autre chose, mais il a téléphoné chez Ferrand qu’était toujours maire. Ça nous a réveillés, cet appel, ça nous a secoués. On a été touchés de sa confiance… se dire que pendant toutes ces années en prison il avait pensé à nous… ça confirmait qu’il était un type bien, un copain-né qui oubliait rien, qui croyait à l’amitié…

On est allés le chercher en voiture comme promis. Jean-Jacques et moi, on s’est chargés de tout, vu qu’on est tous les deux retraités de chez A.L.C.O., que donc on avait le temps et les moyens aussi. 

Et voilà comme il est revenu ici, notre Casi. Vieilli, mais pas maigri, et pas aigri, non, toujours aussi calme et doux.

« Calme et doux », c’est les mots qui viennent tout de suite en pensant à lui. A cause de sa voix toujours tranquille. « Un homme calme et doux c’est ce qu’elle a dit aussi, son ex-épouse qui a tenu à témoigner, pendant le procès, pourtant elle l’avait plaqué fallait voir comme, pour filer salement avec le gendre à Marcelin, mais elle avait contacté les avocats, pour témoigner elle aussi. « Mon ex-mari est un homme calme et doux », elle a déclaré. Et c’était évident : comment qu’elle aurait pu vivre trois ans avec un criminel, sans s’en apercevoir, je vous demande un peu ? Tout de même, elle a voulu que ça soit dit : « Mon ex-mari est un homme bon qui certainement peut rien avoir fait de toutes ces horreurs qu’on lui reproche », elle a dit.  Elle a été fidèle, en fin de compte, faut lui reconnaître ça. 

Parce que faut dire, pour des horreurs, c’étaient des horreurs, qu’ils avaient mises dans son dossier. Bien sûr, qu’on l’a lu, nous, son dossier, non, pas en entier vu qu’on est pas des magistrats, et qu’il paraît que tout tenait à peine dans une armoire, mais par Ferrand on a eu des extraits, avec des photos et des explications. Je me souviens du bonhomme achevé à la scie électrique devant ses gosses. Des deux femmes enceintes ouvertes par le milieu, l’utérus à l’air avec le foetus sur le gros paquet des tripes saignantes. Une autre, je me rappelle, on voyait son dos nu avec une cicatrice affreuse, et on expliquait qu’elle avait survécu dans un tas de morts, parce que son bébé qu’il avait jeté sur elle avait amorti le coup de hache… Le pire, qu’on a vu, dans ce dossier, je crois quand même que c’était l’histoire de ce gamin de treize ans obligé de violer sa propre mère. Là, on a même pas voulu prendre connaissance jusqu’au bout. On avait l’impression de se salir, à plonger dans tout ce bourbier.

Des horreurs, je vous dis, ils l’avaient chargé, chargé, notre Casi… chargé à sombrer pour toujours, avec ces horreurs qu’en finissaient pas. On a écouté aussi avec Ferrand l’entreview d’un psy qui disait que ces violences à ne pas croire, ça s’expliquait du fait que les bourreaux, là-bas, ils connaissaient leurs victimes, ils étaient leurs voisins, ils habitaient les mêmes villes et les mêmes villages, et des fois les mêmes maisons, alors en découpant leurs corps comme des tranches de bifteck, en les repoussant à l’état de bête, ils les éloignaient d’eux, ils en faisaient des gens d’une autre sorte pour ainsi dire, et ça leur permettait d’en tuer en masse comme le demandaient les décideurs. Parce que c’était une guerre avec des dix mille, des cent mille, des un million de morts, là-bas… Que c’était pour ça qu’il fallait que certains se fassent tortionnaires et bourreaux pires que d’autres. Pour que les autres puissent tuer en masse quand on leur donnait l’ordre. Sur le moment, ça m’avait étonné qu’y ait des types comme ce psy pour étudier dans des livres à longueur de temps tous ces trucs affreux. Ensuite j’ai fini par me dire que si ça pouvait servir à quèque chose… parce que quand même on a besoin de ça, expliquer… Pourtant, rien s’expliquait vraiment, pour moi. Rien de rien.

Je vous raconte tout ça, je sais pas pourquoi, puisque même si c’est dans son dossier, en fait c’est sans rapport avec Casi, que c’est pas lui, tout ça, que c’est un autre forcément, que ça lui ressemble pas, à lui, vraiment pas. Je vous raconte ça, c’est juste qu’à un moment, ça avait fini par m’obséder, ces horreurs, j’en dormais plus, d’avoir pris connaissance… j’avais même des nuits, où toute mon amitié flanchait… y a des choses, faudrait jamais même avoir juste commencé à se les représenter, faudrait garder son innocence. Alors quand je recommence à y penser…

Parce que je le nie pas, que tout ça a existé, que c’était un enfer, et même pire que l’enfer, là-bas, pendant cette guerre qu’ils ont eue. J’ai lu des magazines, j’ai vu des émissions, je me suis renseigné même à la bibliothèque… je nie rien de rien… je sais. Et je suis bien d’accord pour qu’on leur fasse leur procès, aux vrais responsables. Et même pour que jamais ils sortent de prison, ceux-là. Mais notre Casimir, ça non ! Là, y a erreur. Parce que j’y bien réfléchi, à tout ça, et je peux vous le jurer : c’est la crème des hommes, Casimir, un nounours, et que même s’il a fait la moindre chose, s’il a fait quelque chose là-bas,… je dis pas, c’est pas complètement inimaginable qu’il ait pas toujours été un héros vu les circonstances de l’époque… mais alors même, en admettant, c’est qu’il y a été forcé.

Forcé, c’est pas possible autrement. On peut tous se retrouver forcés, dans certains cas, non ? Il a été forcé d’être d’un côté, ça arrive à tout le monde dans ces guerres-là, parce qu’il fallait bien qu’il soit quelque part, dans un camp ou un autre, mais il a rien fait, ou alors pas grand chose, ou pas comme on l’a dit, de tout ce qu’on l’a accusé…

Parce que, c’est évident, Casi, il suffit de le regarder pour savoir que ça lui ressemble pas, à Casi, ça lui ressemble pas du tout, toute cette violence.

Et nous nous plus, ça nous ressemble pas du tout, d’être copains comme cochons avec un boucher.

Au village y a une femme, une sacrée bonne femme, une vieille British qui a restauré une fermette où elle vit toute seule, une militante de je sais pas quel mouvement avec un nom anglais, Peace machin – Ferrand qui a de l’instruction l’appelle Peace copy, ça nous fait tous marrer, enfin une bonne femme qui écrit régulièrement des articles sur nous dans des journaux anglais, pour dire que c’est une honte d’avoir fait revenir Casimir et de le soutenir. Elle dit que c’est complètement prouvé qu’il a fait des choses monstrueuses, Casi, et qu’il a tout avoué, mais que les gens d’ici refusent de savoir parce que ça remettrait trop de leurs idées en question. « Un monstre ordinaire », voilà comment elle l’appelle, notre Casi, « et c’est justement le plus terrible, elle dit, qu’un monstre puisse redevenir un homme ordinaire, parce qu’il peut, lui, tout oublier, alors que ses victimes, elles, auront plus jamais droit à l’oubli, plus jamais droit à une vie ordinaire. Parce qu’il sait, lui, découper sa vie en plusieurs parties bien étanches pour mettre sa vie de criminel à l’ombre entre parenthèses, alors que les victimes, elles, revivront sans fin leurs souffrances ».  Voilà ce qu’elle a écrit dans son Peace machin, c’est le père Ferrand qui me l’a traduit, je m’en souviens presque mot à mot tellement ça m’a fait mal. Connasse d’Angliche. Comme si c’était possible, que notre Casimir soit un monstre. Même ordinaire. Comme si un gars comme ça, gentil et serviable, bosseur, sérieux, adorable, un copain formidable… Ça prend peut-être, en Angleterre, ces conneries de monstre ordinaire, mais ici… Ici, presque personne la croit, la vieille. De toutes les manières, Casi, comment elle peut en parler ? elle le connaît même pas. Elle a toujours refusé de le voir. Quand il passe sur le même trottoir qu’elle, elle traverse aussitôt la rue. Quand elle a fait refaire sa grange l’an dernier, un mur qui s’écroulait, elle a fait venir un maçon de la ville, ça lui a coûté bonbon et c’était même pas bien fait, juste pour pas prendre Casimir. On en trouvera toujours, des gens comme elle, des gens qui croient tout savoir, qui ont des tas de grands mots pour expliquer ce qu’on peut pas comprendre et des phrases à rallonge pour faire la leçon aux autres.

Et puis, même si… de toute façon, maintenant, il a purgé. 

Bon, toujours est-il que Casi, ici, presque tout le monde l’apprécie tellement il est gentil. Il est même encore plus gentil qu’avant, depuis qu’il a été en prison. D’ailleurs, il en parle jamais, de la prison. Pas plus que de la guerre. Et nous, on fait comme si de rien. La guerre, la prison, pas en parler, ça vaut mieux, c’est des choses qu’on connaît pas, qu’on sait pas comment on réagirait, qu’on peut pas se mettre à sa place. 

C’est un type en or, Casi, je vous dis. Même ses mains sont en or. Tiens, par exemple… depuis qu’il est rentré, en plus d’être maçon, vu que ses affaires marchent plus aussi bien qu’avant mais qu’il est toujours aussi bosseur, il s’est mis à faire du modélisme. Il fabrique des maquettes de petits avions télécommandés qu’il vend sur les marchés et aussi sur internet.

Du beau travail, fin et délicat. Impeccable. Comme tout ce qu’il fait.

Il fait un peu de tous les genres, mais on lui demande surtout les petits avions militaires surtout, des modèles légers, vifs comme des mouches, qui piquent droit où il veut, avant de se remettre à voler dans le ciel.

Faut voir. On s’y croirait tellement c’est bien fait.

Il est doué, Casimir. Il a des mains en or. Même qu’il a donné des cours gratuits aux enfants de l’école, un moment. La mairie cherchait des bénévoles, pour les activités du soir, il s’est proposé, c’est comme ça qu’il est, Casimir, toujours prêt à rendre service, et il adore les gosses – vu son surnom, ça va pas vous étonner.

Un jour, un des avions que les gosses manipulaient a piqué dans un fossé plein d’eau. Il est gentil, Casi, pas le genre qui ferait pas de mal à une mouche, parce qu’il y en a pas deux comme lui pour les attraper à table et leur couper la tête avec son couteau, mais un bon nounours gentil. Seulement, là, il en a eu marre, Casi, des bêtises des gosses, il a voulu faire preuve d’autorité. Il a fait sa grosse voix et il a demandé à celui qu’avait fait l’ânerie d’aller lui-même chercher l’avion au fond du fossé. Ça a mal tourné, le gosse est tombé dans la boue et s’est moitié noyé. Casi, avec ses grosses pattes, l’a rattrapé à temps, mais le gosse hurlait. La mère a porté plainte, figurez-vous, alors que Casimir qu’était juste un bénévole pas payé l’avait sauvé, son gosse. Elle a dit partout que jamais l’école aurait dû engager quelqu’un qui était un personnage dangereux et un criminel de guerre jugé – elle fréquentait l’Anglaise qui l’avait embobinée, faut croire. On l’a classée sans suite, bien sûr, cette histoire-là, au moins, mais Casimir a arrêté de donner des cours aux gamins. Les gens sont comme ça. Casimir y peut rien, ils sont comme ça, les gens. Il aura beau sauver trente gosses, trois cents gosses, trois mille gosses, on lui reprochera toujours ceux qui sont couchés dans son dossier, là-bas.

C’est comme pour les poules. La mère Averty, elle avait des problèmes avec ses poules. Le renard, bien sûr, parce que la mère Averty, elle avait beaucoup vieilli, et elle les voyait même plus, les trous qu’il y avait dans le grillage de son poulailler… eh bien elle a prétendu qu’elle avait vu Casi dans son atelier, avec un couteau, en train de saigner une de ses poules qu’il avait attachée par les pattes à un poteau, et que le sang coulait lentement, et que Casi était aux anges. Ça le faisait rigoler doucement, notre Casimir, ce délire de la mère Averty, et c’était tout ce que ça méritait, en effet. N’empêche qu’elle aurait jamais eu ces visions-là, la mère Averty, même avec son début d’Alzémeur qui l’a obligée à partir en maison pas longtemps après, si elle avait pas vu le reportage à la télé, dans le temps.

Les gens sont comme ça, ils préfèrent croire le mal. Et ils inventent des choses, justement parce qu’ils aiment parler du mal. Ils voient le mal chez les autres parce que c’est en eux, tout ça, en fait. Et qu’ils cherchent qu’une occasion sans risque de porter tort à ceux qu’ils envient.

Mais nous, je veux dire la plupart de ceux d’ici, on sait ce qu’il en est, et on l’aime toujours aussi bien, Casimir, on le considère toujours comme un copain. On l’invite presque à toutes les fêtes. Enfin, à beaucoup de fêtes.

L’autre jour, par exemple, il était invité, au mariage Simonneau. Le fils Simonneau avait failli le prendre pour témoin, même si au dernier moment il avait changé d’idée à cause de sa belle-mère qu’était pas d’accord à cause des histoires.

On avait pris l’apéro après la cérémonie, et on devait tous se retrouver le soir à Sion pour le repas.

Comme on avait un peu trop bu, on avait décidé, les copains et moi, d’y aller à pied, en prenant par la Prairie Pavée.

Y avait la route à longer, forcément, la départementale… on avançait sur le bas-côté, à la queue-leu-leu. Un drôle de cortège, de sacrés pèlerins verre en main. On riait, on blaguait. Soudain, le chien de Jean-Jacques a vu un faisan sur la route. Une bête qu’on venait de lâcher pour les chasses d’automne, une volaille d’élevage toute innnocente et niaise qui se méfiait de rien, qui restait là tranquillement à se prélasser en plein milieu de la route. Le chien s’est précipité. Jean-Jacques a pas pu le retenir. La voiture qui arrivait en face l’a pris de plein fouet. On a vu le chien tanguer, tomber le ventre ouvert. La voiture avait déjà disparu. 

On a réussi à ramener le chien sur le bord de la route, et on l’a couché dans le fossé. Il gémissait, pauvre bête, il avait les tripes à l’air, c’était moche à voir, je vous assure. Fred, qui s’y connaît un peu, a regardé la blessure. Le chien haletait et gémissait. Fred a hoché la tête. « Rien à faire », il a dit. Le chien souffrait le martyre. C’était évident qu’on aurait jamais le temps de l’amener chez le véto. Et c’était évident aussi qu’aucun véto aurait rien pu faire. Le chien gémissait à faire trembler. Jean-Jacques a pas pu y tenir, il a pris une grosse pierre, il s’est approché.

Une mouche était déjà posée sur les tripes à l’air. C’était clair qu’il fallait l’achever, ce chien. Mais Jean-Jacques restait immobile avec sa pierre dans la main, il s’était mis à trembler. Le chien le regardait comme en pleurant, et lui, il pouvait pas le faire. Il est resté comme ça quelques minutes. Le chien pleurait toujours, les mouches étaient bien une dizaine maintenant à bouffer les tripes qui saignaient, c’était intenable.

C’est Fred, au bout d’un moment, qui a dit ce qu’on attendait tous : « Vas-y, toi, Casimir. Fais-le, toi ! »

Casimir nous a regardés bien dans les yeux, les uns après les autres. Il avait pas l’air vraiment surpris.

Jean-Jacques s’est retourné. Il lui a tendu la pierre : « Il a raison, fais-le, toi, Casi, y a que toi qui peux le faire ».

Casi nous a encore regardés. Il a eu l’air d’hésiter, mais pour finir il s’est penché, il a ramassé une autre pierre plus grosse. Il s’est avancé vers le chien. Il a levé la main, il visait la tête. C’était évident qu’il allait cogner fort, qu’il allait pas rater son coup. C’est un bon copain, Casimir. Un vraiment bon copain. Et nous aussi on est des bons copains. On a tous fermé les yeux quand il a abattu la pierre. On a juste entendu le coup sur le crâne. Un seul coup, net et précis.

Quand on a rouvert les yeux, le chien avait la cervelle écrabouillée, Jean-Jacques pleurait comme un gosse, et Casi était déjà reparti, tout seul, là-bas, par le chemin du bois de la Crosse. On l’a bien compris, qu’il viendrait pas au mariage Simonneau, finalement. Mais personne a pensé à le rappeler ou à courir derrière lui pour lui demander de nous rejoindre.

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9 commentaires pour Casimir

  1. Tu montres à merveille l’ambiguïté qui existe en tout être humain ; la possibilité qu’il y a toujours pour tous de se plier à la mode du moment sans se rendre compte de l’énormité éventuelle de ce qui se fait ; de la difficulté qu’il y a à trancher entre « bon » ou « mauvais » suivant les circonstances : l’épisode final, du chien, en est encore une preuve.
    Merci Carole, pour ce beau texte.
    (NB corrige à la fin : « le chien souffrait le martyre »)

  2. almanito dit :

    Comment devant des circonstances inédites, un homme ordinaire peut-il se transformer en un monstre abominable, comment un autre, tout aussi ordinaire peut-il se comporter en héros? L’amour – l’amitié, ici – peuvent-il passer au-delà de l’horreur? Ton personnage pose de vraies questions. Tu es vraiment rentrée dans la peau de ton narrateur, toi qui habituellement es plutôt dans la suggestion, tu as su évoquer les atrocités à sa façon: crue et réaliste, et comme je te connais, du moins je te lis, depuis quelques années maintenant, je me suis demandé comment tu avais ressenti cela au fil de l’écriture.
    C’est en tout cas une nouvelle très réussie, comme toujours.

    • carole dit :

      En fait, j’ai écouté un reportage sur le Rwanda à la radio, et je me suis inspirée d’un fait-divers qui m’avait frappée, il y a six ans : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/la-seconde-vie-du-scorpion-serbe-milorad-momic_980481.html
      Si bien que j’ai effacé les mentions de lieu et d’époque pour que la question posée (que tu exprimes très nettement) garde sa dimension universelle, parce qu’en fait elle est universelle et non pparticulière.
      Ici, si l’amitié se maintient au-delà de l’horreur, c’est justement parce que l’horreur ne semble pas compatible avec le caractère ordinaire et très sociable de la personne concernée.
      Mais si, justement, la sociabilité, l’obéissance, et le conformisme expliquaient la dérive de certains vers le pire dans certains contextes très particuliers où il ne faut s’appuyer que sur ses propres valeurs et plus sur celles du groupe ?
      Bon, je ne vais pas réécrire ma nouvelle, là…

  3. jill bill dit :

    Bonjour Carole… la guerre, les hommes enrôlés comme soldats au front, d’autres affectés à certaines missions répugnantes, des bourreaux, obéissants, parfois on se demande avec « plaisir » ou pas, c’est tellement peu humain ! Après la guerre des hommes normaux qu’on a peine à croire à… doux et bons ! Des chasseurs de nazis ont eu à coeur de les retrouver ces fgens-là… de les punir, comme Casimir, peine de mort, peine de prison, des loups redevenus moutons parmi les moutons… merci, jill

  4. mansfield dit :

    Un récit très bien structuré. La stupeur, l’incompréhension, le déni, le doute, et puis non la solidarité, l’entraide, les copains, le groupe indéfectible. Et ce geste, cette brutalité, soudaine et brève, le naturel chassé revenu au galop, une part de vérité? Et l’éloignement bien sûr… d’un homme qui se sait pas si net que ça. J’ai adoré!

  5. La Baladine dit :

    Impossible à cette lecture de ne pas se poser des questions; sur l’ordinaire de la criminalité, sur le déni devant l’évidence, sur la possibilité de chacun de se transformer en monstre, en fonction des circonstances. Dérangeant, brillant. Bravo!

  6. Quichottine dit :

    Je reste sans mots…

  7. Corine dit :

    N’est-ce pas le dernier geste le seul « charitable » ? Il « fallait l’acheve »r, on s’est servi cette fois de lui pour faire le sale boulot qui convient à un monstre, je trouve.

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