Que l’être humain soit infiniment complexe, qu’il soit impossible de juger autrui sans se tromper, ce n’est pas à moi que vous l’apprendrez… j’ai instruit tant de cas, à charge et à décharge… et j’en ai tant entendu, ensuite, de ces plaidoiries contradictoires où tour à tour le même être vous apparaît pitoyable ou monstrueux, tandis que vous n’avez sous les yeux qu’un pauvre type apeuré dans son box… car apeurés, oui, ils sont tous apeurés, même les plus haineux, même les plus insolents… apeurés comme ils le seraient face à Dieu, ou plutôt, face à une forme de vérité supérieure, car Dieu, hélas… ! vous savez bien que je suis agnostique, et que je le regrette…
Mais si je n’ai que des doutes en matière de religion, si j’en suis réduit en cette matière à l’inconfortable position de ne pouvoir ni croire ni ne pas croire, il en va autrement en ce qui concerne mon métier de juge. J’y crois. Peut-être est-ce là ma religion, en réalité. Je crois à l’absolue nécessité du juge, du tribunal, du jugement. Comprenez bien : je ne crois pas à l’infaillibilité du juge, bien au contraire, puisque je pense, comme vous, qu’on ne peut appréhender des êtres que le jeu compliqué de leurs contradictions et de leurs perpétuels changements… Non, je crois à l’absolue nécessité du juge, ce qui est bien différent. Et j’ai toujours pensé qu’on n’avait inventé la profession de juge d’instruction, ces longs procès d’assises où tout se pèse, et ces peines précises et motivées que l’on prononce à la fin, que parce qu’il est indispensable, après un crime, de remettre de l’ordre et de la mesure dans tout le grand fatras humain, de compenser, en quelque sorte, par le travail de la raison, cette folie qui veut qu’en chaque homme il y ait toute l’humanité, bonne et mauvaise, victime et bourreau, et que cette humanité, au moment décisif, tende si désespérément vers le mal et la chute.
Non, non, je ne nourris aucune illusion. Oui, je sais, tout comme vous, et même sans doute bien mieux que vous, que juger, c’est toujours se tromper, car aucun homme n’est entièrement compréhensible à d’autres hommes, ni assez éloigné d’eux pour qu’ils puissent distinguer clairement la forme de son âme… car justement seul un dieu pourrait juger un homme, et c’est bien pour cela que tant de religions ont inventé ces jugements derniers qui ne nous parlent pas seulement de la mort, mais sont le coeur vivant de leurs mythologies… Seulement je crois aussi qu’il faut que le jugement humain ait lieu, pour que le mal subi par la victime puisse cicatriser, que son existence que le crime avait niée reprenne sa valeur, pour que le pauvre type du box réintègre un jour sa place parmi les hommes, pour que l’humanité enfin, elle aussi, atteinte dans son essence, en quelque sorte, par le crime, retrouve son sens et son équilibre. Car s’il est vrai qu’il y avait en ce criminel qu’on juge toutes ces capacités au bien, ou au moins toutes ces excuses, que la défense s’ingénie à mettre en valeur, et qu’il y avait en lui aussi toute cette haine, tous ces penchants terribles, que l’accusation tente encore de noircir, s’il est vrai qu’entre les deux son âme balançait, il est certain aussi que son crime l’a placé brusquement en face d’un choix révélateur, décisif, et que ce choix était celui du mal. Et qu’en chutant ainsi du côté du pire il a rompu un double équilibre : celui de la société, bâtie tout entière sur l’alliance du bien et du mal, et le sien propre, son équilibre d’humain, voué à balancer entre le bien et le mal, et à se tenir toujours à peu près à l’horizontale.
Je vous fatigue avec mes abstractions, mes élucubrations, je vous fatigue… alors j’en viens au fait, à ce que je voulais vraiment vous expliquer, à ce qui est pour moi le sens même de mon métier, et ce à quoi je crois : le jugement, au terme du long procès où l’on a tout pesé, a pour fonction, en quelque sorte, de rétablir les équilibres rompus, et, par le poids plus ou moins lourd de la sentence prononcée, de ramener à l’horizontale la balance effondrée. La balance, c’est l’un des plus anciens symboles de la justice, n’est-ce pas ?
Vous avez raison, et, bien entendu, je le sais, qu’on ne lui a pas toujours donné ce sens… pas tout à fait, peut-être… mais, pour moi… c’est là qu’est le point important… pour moi tout procès vise à cela : la balance… redresser la balance, remettre à l’équilibre ce qui penchait vers le chaos… et la cour d’assises est peu ou prou l’assemblée solennelle de Minos, Eaque et Rhadamanthe, rétablissant la route droite au grand labyrinthe des âmes, en disposant sur la vieille balance les poids qu’il faut placer…
Vous allez me dire que je vais trop loin, mais je suis aujourd’hui convaincu, absolument convaincu, après trente années de magistrature, qu’en matière de crime, seul le procès importe… le procès, et la sentence finale qui donne la mesure du poids à rétablir… et que, hors cela, tout est cruel, absurde et inutile… Oui, je pense que la prison qui vient après est une nuisible absurdité et qu’il faudrait inventer d’autres formes de châtiment. Je vous entends, bien sûr, je vous entends, j’en ai pourtant envoyé en prison, des hommes… par centaines… Je le déplore, croyez-le bien, mais je n’en ai pas de remords, malgré ce que je viens de vous dire, car, si le jugement m’incombe, la prison, elle, n’est pas de mon fait. En somme la suite du procès ne me concerne plus, elle concerne la société, qui devra bien un jour y réfléchir.
Ainsi, vous m’avez demandé tout à l’heure si je n’avais jamais été dans l’embarras et la perplexité, et vous voyez que je vous ai déjà en partie répondu. Mais puisque vous souhaitez une anecdote, je vais vous raconter quelque chose. Je vais vous raconter la séance d’assises qui m’a le plus profondément troublé, dans ma longue et troublante carrière. L’une des premières séances que j’aie présidées dans cette ville.
C’était un violoniste qu’on jugeait. Un grand, un très grand violoniste. Appelons-le D. car vous comprendrez, même si l’affaire est bien connue, même si je ne doute pas que vous n’ayez déjà reconnu ce D., car on se souvient encore de lui, que je ne peux manquer à mon devoir de réserve. Il était violoniste, donc, ce D. et l’un des plus grands de son époque. Compositeur aussi, à ses heures, comme bien des virtuoses, mais préférant sa lumineuse carrière à ses oeuvres obscures – comme bien d’autres, là encore.
D. menait donc la vie des musiciens célèbres qu’on invite pour des récitals et des festivals, qui vont de ville en ville et de pays en pays, fêtés et applaudis, tandis que chez lui, dans la belle maison qu’il lui avait construite, sur les coteaux du Rhône, sa femme se languissait autant qu’une pauvre épouse de marin. Vous devinez ce qui arriva : elle prit un amant. Elle le lui avoua, un soir de Noël qu’il était de retour au foyer, et il lui fit une scène abominable. Alors elle déclara nettement qu’elle allait le quitter, et il se mit à la frapper avec tant de violence qu’elle perdit connaissance. Sa rage augmentant encore devant le corps inerte, il s’empara d’un grand couteau de cuisine, dont il lui porta quarante-et-un coups, précisément, selon le rapport du médecin légiste. Quarante-et-un… essayez d’imaginer cela…
Vous pensez à Gesualdo ? … Don Gesualdo… prince du madrigal et assassin de sa jeune épouse… Oui, cela y ressemble. Mais en bien pire.
Car après avoir assassiné sa femme, il est allé percer de vingt-cinq coups précisément leur petit garçon qui dormait dans sa chambre. Vingt-cinq coups de couteau, un petit enfant… Et c’était un soir de Noël.
Oui, cela a eu lieu… il croyait les aimer, il le disait encore, ensuite, il le gémissait sans répit, il le répétait obsessionnellement, mais la rage et la haine avaient tenu son bras, au moment décisif, et plus rien d’autre ne comptait… Ensuite, il a tenté maladroitement de se suicider, avec le même couteau, et s’est manqué bien sûr – ils se manquent presque toujours, dans ces cas-là, car justement, ils veulent, en eux tout veut que le jugement puisse avoir lieu… Un voisin alarmé par les cris avait déjà appelé la police qui n’eut bien sûr qu’à l’arrêter. J’ai visité moi-même la maison du crime, les pièces éclaboussées de sang… je frémis en y repensant… je vous dirai seulement que j’ai rarement vu un spectacle aussi abominable.
La stupeur fut immense à l’époque. Le public croit toujours que les crimes sauvages sont réservés aux plus humbles, aux ivrognes, aux brutes, aux drogués. Que D., cet artiste raffiné, qui offrait sur la scène l’image de la plus parfaite maîtrise, eût pu céder à la rage bestiale de détruire, de souiller de haine et de sang tout ce qu’il aimait, cela semblait à tous extrêmement difficile à concevoir. A tous, et à lui-même plus encore… je l’ai entendu dans mon bureau sangloter que ce n’était pas lui… mais un autre… un autre, nécessairement un autre… beaucoup disent cela, vous savez, un autre…
Le jour du procès, on se pressait dans la salle des assises. Une foule de journalistes, de micros et de caméras. Et bien sûr des célébrités du monde de la musique, appelées pour certaines d’entre elles à témoigner. Un procès brillant, en somme, selon les critères de la presse.
Ce fut un procès ordinaire, cependant, avec ses témoins imprécis et ses plaidoiries contradictoires. La défense insistant sur le désarroi de l’époux trompé, sur la douleur de la trahison, sur sa sensibilité exaspérée par la pratique intense de son art, sur le désir d’éviter à l’enfant de grandir avec la conscience d’un horrible passé… L’accusation grossissant encore la violence et le sang versé, et soulignant l’horreur particulière du crime… Et comme toujours, dans le box, le type hagard qui s’égarait en ses propres méandres, contraint d’entendre ainsi présenter en noir et blanc son tumulte intérieur, et ces deux meurtres qu’il ne s’expliquait plus. Certain cependant d’une chose effarante : que dans son crime il s’était révélé à lui-même, et découvert dans sa part monstrueuse. Car c’est ainsi, dans les minutes de son crime, un être se révèle toujours à lui-même, émergeant de sa complexité et de sa confusion humaine, pour prendre la forme nette et sombre du criminel, et c’est celui-là, cet homme révélé, à la fois assombri et clarifié, c’est lui, je vous l’ai déjà dit, que nous jugeons, et condamnons, avec nos balances de justice.
Avant que les jurés ne se retirent, selon l’usage, j’ai demandé à l’accusé D. s’il avait quelque chose à ajouter. Il s’est levé, et il a fait signe à son avocat, qui a ouvert un étui à violon, et lui a tendu le splendide « Amati » sur lequel il avait si longtemps joué.
—Monsieur le président, mesdames et messieurs les jurés, a-t-il dit d’une voix presque inaudible tant elle était altérée, je voudrais simplement jouer pour vous un morceau que j’ai composé en prison. Je crois que ce morceau vous exprimera tout ce que j’aurais pu dire, si les mots ne m’avaient pas à ce point fait défaut.
La démarche était singulière, bien peu légale… je risquais là le vice de forme… Mais vous savez que je suis grand amateur de musique. J’ai accepté.
Et il a commencé à jouer. L’acoustique de notre prétoire est excellente…
Jamais je n’ai rien entendu d’aussi beau, d’aussi atrocement bouleversant, d’aussi incroyablement poignant. C’était comme s’il avait écrit sa partition avec le sang des morts et les larmes du vivant. C’était comme si toute la douleur déchaînée par le crime avait trouvé enfin sa place, dans l’ordre et la mesure de la musique, transposée dans un monde de beauté. C’était, croyez bien que je n’exagère en rien, c’était le plus beau morceau de violon que j’aie pu entendre dans toute ma vie de mélomane… Ainsi un crime atroce avait fait naître tant de beauté. Ainsi le mal dont s’était nourrie cette oeuvre avait changé, non de nature, mais de direction, ramenant à l’humanité celui qui s’en était séparé, nous amenant nous-mêmes tout près de lui, frères que nous étions en cette oeuvre où s’exprimait notre douleur humaine aussi bien que celle de ses morts, et la sienne.
Quand il eut fini de jouer, il y eut dans la salle un long silence grave. Tous étaient bouleversés. Je sortis avec les jurés pour la délibération.
Alors ? Alors, oui, il fut condamné, et à une lourde peine. Exceptionnellement lourde même. J’avais solennellement demandé aux jurés, avant d’ouvrir les débats, de ne pas laisser la qualité de la musique influencer leur jugement. Oui, moi, moi qui aime tant la musique, moi qui avais presque pleuré en entendant D., j’ai insisté pour que le jury ne juge pas le musicien, pas l’être qui nous avait tant émus, mais l’homme criminel, et lui seul.
J’ai souvent réfléchi à cette scène, ensuite, à ce moment où, au lieu de parler, D. nous a joué son extraordinaire chef-d’oeuvre. Et je crois qu’il m’aurait donné raison. Je crois qu’il voulait être jugé.. je veux dire jugé impartialement. Ils veulent tous être jugés impartialement… c’est une nécessité aussi impérieuse pour eux que pour nous tous, je vous ai expliqué cela… Certains journalistes ont prétendu à l’époque qu’il avait voulu influencer le jury, lui rappeler son grand talent pour alléger la sentence. Il n’y avait pas d’appel, en ce temps-là, pour les procès d’assises, et l’on usait presque systématiquement de toute sortes de petites ruses pour obtenir un peu d’indulgence… Mais en l’occurrence, je n’en crois rien, puisque il n’y a pas eu de pourvoi en cassation, malgré l’extrême sévérité de la condamnation, alors que rien n’aurait été plus simple, pour une fois…
J’y ai beaucoup réfléchi. J’y ai longtemps réfléchi, pendant des années j’y ai réfléchi… Et il m’a semblé, peu à peu, comprendre… Ce que D. a voulu nous dire, je pense, c’est que par l’art il pourrait être encore des nôtres. Qu’il y avait là un chemin. Que toute douleur, toute violence, si elles parviennent à transmuer leur non-sens en beauté, peuvent reprendre leur place dans l’équilibre qu’elles avaient bouleversé. Que là où la beauté peut surgir, l’horreur ne disparaît pas, mais que l’ordre revient, et que l’équilibre se fait. Oui, je crois qu’il voulait nous parler de lui-même, mais aussi nous donner une leçon à tous, une leçon de violon et de vie… Il y avait, autrefois, chez les théologiens, vous vous souvenez peut-être de cela, car je sais que vous avez lu Baudelaire, cette théorie de la réversibilité… selon laquelle le mal commis quelque part peut être compensé par le bien accompli ailleurs… n’est-elle pas, cette singulière réversibilité, comme l’avait déjà deviné Baudelaire, une théorie esthétique, bien plus que religieuse ? S’il y avait réversibilité de l’art ? Et si cette réversibilité de l’art était l’équivalent de ce travail du juge, rétablissant sur la balance humaine l’équilibre du bien et du mal ? Si l’artiste, au fond, était dans son effort l’exact pendant du juge ? Si c’était la même chose, la même passion qui les animait, le même désir obsédant d’équilibre et d’ordre, de compensation, de résilience, de… oui, j’en reviens toujours à ce mot, de réversibilité ? Rêveries, abstractions… je m’égare… je m’égare, soit… peut-être avez-vous raison…
Ce qu’il est devenu, ce D. ? Il achève actuellement sa peine, presque fou, dans l’affreuse prison des Baumettes.
En prison cependant il compose encore. Mais on ne lui permet pas de jouer ses morceaux, un violon ne pouvant franchir les murs de la prison. Il en est donc réduit à cette infernale torture de composer mentalement, dans le bruit insupportable qui règne là, et sous les quolibets et les brutalités des autres détenus, des oeuvres pures et silencieuses, des partitions merveilleuses qu’il envoie à l’un de ses anciens collègues, le grand soliste Yuri Barjansky, qui lui est resté fidèle, et qui les joue quelquefois en public. Je suis allé plusieurs fois les écouter… Puisque après tout c’est pour moi, le juge, pour moi tout particulièrement qu’il les compose, me semble-t-il… Ce sont, de l’avis de tous ceux qui ont pu les entendre, des pièces exceptionnelles, des chefs-d’oeuvre comme on en entend rarement, et comme jamais, jamais, avant, il n’avait pu en écrire.
Il aura presque soixante ans lorsqu’il pourra bénéficier d’une libération conditionnelle qu’on hésite actuellement à lui accorder, je le sais, tant son équilibre mental est précaire. Jamais il ne reprendra sa carrière. Il ne sera plus à sa sortie qu’une épave incapable de vivre, incapable de se présenter en public. Mais ses oeuvres, les oeuvres merveilleuses que la violence et la souffrance lui ont inspirées, elles, resteront, et grandiront après lui, chefs-d’oeuvre troubles et nécessaires comme ceux de ce peintre assassin de la Renaissance, Le Caravage… ou comme ceux de Gesualdo, puisque vous avez évoqué ce musicien – bien moins grand compositeur, cependant, que D., ainsi que le dira sans doute l’avenir…
Et, voyez-vous, si j’ai voulu vous raconter cette histoire du violoniste D., c’est qu’elle touche de près à une autre question que tant se posent, que vous vous posez, je le sais, et qui m’a toujours tourmenté, moi aussi, en tant qu’amateur d’art… Il y a, il y a eu, il y aura, tant de guerres, tant de crimes, tant de souffrances, tant d’horreurs sur cette terre… l’humanité dans sa globalité est si évidemment tragique ou criminelle, si lourdement emportée dans sa chute… on pourrait douter du sens de l’art, on pourrait… oui, souvent, on en doute… on se dit que Mozart, près d’un enfant qui meurt de faim… que Chopin, près d’un soldat partant au front… que c’est indécent, que c’est absurde, que cela perd toute valeur, que c’est même odieux… Voyez-vous, Adorno est celui qui a exprimé le plus nettement cela, le plus radicalement, lorsqu’il a dit qu’après Auschwitz il était impossible d’écrire un poème, qu’Auschwitz avait changé en tas d’ordures toute la culture humaine… Se pourrait-il que ce soit tout le contraire, que l’art soit au contraire, comme le sont ces procès que je préside, une façon de rétablir l’équilibre, de remettre l’humain en ordre ? Non pas, je le répète, non pas de racheter le mal, non pas de l’effacer, car cela on ne le peut pas, mais simplement de rétablir l’équilibre… et rétablir l’équilibre, quand tout semble perdu, n’est-ce pas justement indispensable ? n’est-ce pas l’effort qu’il ne faut jamais abandonner ? Et n’est-ce pas ce qu’a répondu à Adorno, et à moi-même, et à bien d’autres, ce jour-là, la mélodie poignante, inoubliable, du violoniste D. ?
Sanglante affaire que de perdre son sang froid à l’annonce d’une séparation… pauvre femme et enfant, merci Carole, c’est bien écrit… comme toujours !
Je n’ai pas eu de mal à trouver un fait divers pour servir de « socle » au récit du crime, hélas !
L’art est une bouffée d’oxygène, un refuge, une évasion, un exorcisme…Tout ce qui permet de tenir le coup. Pas étonnant que les artistes continuent de créer, en prison.
Très beau texte, Carole.
Oui, c’est une exigence vitale, il me semble. Merci, Louv’
Je reste sans voix.
C’est un texte magnifique et une belle réflexion à la fois sur la justice et sur l’art.
Merci Quichottine. Il me semble en effet qu’il y a un lien entre l’exigence de justice et l’exigence d’art. C’est cette idée que j’ai voulu explorer, même si je n’en ai pas cerné tous les aspects.
Des accents Dostoïevskiens dans ce drame d’art et de fureur.
Nous sommes tous des mosaïques, c’est affaire de circonstances
“ Cet homme capable de voler un morceau de pain, il est capable aussi bien d’offrir son dernier morceau de pain. Les hommes sont ainsi, mêlés de bon et de mauvais. Comme le ciel d’où nous viennent soleils et pluies, sourires et colères. Et au total, il faut quand même croire en l’homme.” (G Hyvernaud).
Mais c’est aussi affaire d’intensité. La passion, qu’on nomme aussi “folie” ou parfois “génie”, fait les grands artistes et les grands criminels, avec une prédilection pour les armes blanches. Les “gentils” dorlotent leur femme légitime, et écrivent des ballades. Les “too much” se coupent l’oreille, et composent des requiems.
La justice ? un vain mot, il est vrai ; seul existe le droit, une cote mal taillée, mais qui soutient les sociétés.
D’ailleurs comment pourrait-on “juger” avec la logique de notre cerveau cortical ces impulsions du cerveau reptilien venu de la nuit des temps, qui peuvent sans sommation prendre le pouvoir et nous faire redevenir bêtes fauves, dans ce que, faute de comprendre, on nommera “accès de démence” dans les procès verbaux ?
Décidément, il y a tout chez Hyvernaud. Et je suis bien d’accord avec toi.
Sinon, ce que je faisais dire à mon juge, c’est qu’à la fois on ne peut juger et qu’on doit juger, pour que le désordre ne triomphe pas, et que l’humanité conserve son équilibre.
Chez les Égyptiens de l’Antiquité déjà, dans la scène de la psychostasie (pesée de l’âme) si souvent représentée sur papyrus, sur le plateau de la balance opposé à celui qui portait le coeur du défunt, figurait une plume : ce « poids-plume » symbolisait Maât, déesse de la Justice, de l’Ordre, de la Vérité.
Tout proche, un monstre, « La Dévoreuse », attendait évidemment pour se repaître que la balance penchât du côté qui accusait le trépassé.
Je me suis toujours demandé la raison pour laquelle, sur base de toute la documentation que je connais, les deux plateaux sont à chaque fois au même niveau.
La Dévoreuse, à chaque fois aussi, doit s’en repartir bien penaude, non ?
Votre texte, Carole, – votre réflexion s’ouvrant en définitive sur l’Art – est d’une profondeur remarquable …
C’est toujours plus qu’un simple plaisir de vous lire !
Dans mon récit le juge le dit lui aussi : il FAUT que les deux plateaux s’équilibrent. Je crois que c’est une exigence profonde de notre humanité, et que cette « psychostasie » dont vous parlez l’illustre de façon exemplaire. J’avais pensé pour ma part à la balance de Minos, car il est frappant que celui qui a fait bâtir le labyrinthe soit aussi celui qui pèse les vies aux enfers, arrachant ainsi les âmes à leur dédale intérieur.
Je suis persuadée qu’en chacun de nous sommeille un monstre terrifiant. Ton texte me bouleverse car il me renvoie à mes pires cauchemars, ce moment où tout bascule de façon irrémédiable, où on n’est plus du côté des humains….
Un cauchemar que nous pouvons tous faire. Le problème étant de savoir pourquoi certains font entrer leurs cauchemars dans la réalité. Une énigme qu’on ne peut se lasser d’approfondir, à défaut de la résoudre.
De nombreuses pensées nous interpellent à la lecture de ce récit ! : Le bon et le mauvais, cette balance, toujours en équilibre instable en nous, la justice, les peines…
L’art pourrait-il aider à rétablir l’équilibre ? Je le pense personnellement. Pourtant, Göring, bourreau nazi, était un grand amateur d’art, Le Caravage, un assassin, et votre violoniste, un criminel cruel… Pourquoi, l’apprentissage de l’art, la culture en général, ne pourraient-ils pas se substituer parfois, en partie, à la peine ? Notre société vengeresse l’accepterait-elle ?
L’image de ce violoniste jouant un morceau de violon pour exprimer ses sentiments devant son acte, était émouvante. Merci pour ce récit incitant à la réflexion. Superbe !
En effet, nous n’avons pas la réponse à tant d’énigmes. Mais le récit du « juge » est une invitation à la réflexion.
si l’on peut peser l’âme de cet être, qui, métamorphosé par la colère , en Mister Hyde, je dirai que nous sommes tous des Dr Jekyll et Mr Hyde!! Que l’être humain qui n’a jamais eu sous un accès de colère voulu tuer son prochain, fusse t-il un ami, un amour, un frère, lève le doigt!!!Nous sommes ainsi, des êtres violents et c’est pour cela que les croyances furent inventées!! bien sûr, l’éducation de l’être l’humain doit être enseignée à respecter son prochain (même sans religion)Hélas, cette dualité qui sommeille en nous n’est pas toujours facile à respecter!! Si les arts doivent apaiser celle-ci, je veux bien y croire, mais, en l’occurrence, mister Hyde fut plus fort que l’artiste violonniste!!Pourquoi, voit-on souvent des médecins s’adonner aux arts plastiques ou autres? parce qu’ils savent que c’est une solution à la violence, car eux-mêmes y sont confrontés parfois dans leur famille ou dans leur façon de penser! On pourrait, certes, faire débat sur ce récit intéressant, je me contenterai de ce commentaire!!! Merci Carole pour cette histoire humaine! BISOUS FAN
Oui, c’est une forme de solution. Ou, comme le dit mon juge, de remise à l’équilibre…
L’art comme contre-poids de tout ce que l’humanité contient de monstrueux, et pourtant regarde de quelle façon nous réagissons lorsqu’un artiste commet un acte violent… beaucoup considèrent l’art comme une excuse ou un rachat de la faute. La dualité d’un être est difficile à admettre, alors que l’humanité vit de cet équilibre, je crois.
Bien sûr, nous pensons tous au même… justement, je n’ai pas voulu le citer. Je n’ai d’ailleurs pas précisé vraiment à quel moment se situait le récit.
Ce texte est bouleversant!
Merci Jeanne !
Il fait réfléchir, ton beau texte! J’adore le moment où il joue ce morceau d’une beauté atrocement bouleversante, qui ne change rien au cours du procès, mais qui le déborde, nous précipite dans autre chose, quelque chose qui peut-être dépasse même cette volonté du juge d’introduire de l’ordre et de l’équilibre, son pendant, oui, comme s’il acceptait lui d’abord le chaos, le comprenait, le vivait dans l’atrocité du bien et du mal entremêlés, indissociables, en faisait la matière d’une sublime harmonie???????
Oui, l’harmonie, c’est la nécessité vitale, qui explique à la fois le désir de justice et le désir de beauté. Théorie peut-être un peu personnelle.
Bonjour,
J’ai lu, lentement, ce texte.
Je suis remué par vos mots, vos pensées.
Cette notion d’équilibre à rétablir est fascinante.
Merci.
Je vais faire lire votre texte.
Merci de votre intérêt. J’ai exprimé là des pensées qui me tiennent à coeur, mais que j’avais jusque là de la peine à formuler.
Bonjour, Ce texte m’a tellement fait réfléchir que j’ai communiqué le lien à la conjointe de mon fils, qui termine ses études pour être avocate. Elle a beaucoup apprécié
Cela me fait plaisir, car je me demandais justement ce qu’un professionnel pourrait en penser. Merci !
Texte beau et bouleversant , la justice et la musique deux thèmes qui me touchent; jadis à l’époque des débats sur la peine de mort, j’ai beaucoup réfléchi ; nous sommes tous des assassins potentiels: la colère , la jalousie habitent le cœur des humains, les plus grands, les plus instruits, pouvant nous pousser aux pires atrocités; Hitler n’aimait il pas aussi la musique et les enfants…et pourtant , lui aussi a tué; la sensibilité d ‘un musicien étant exacerbée, le violoniste est devenu un horrible assassin, que je n’excuse pas ; mais quels tourments, jusqu’à la fin de sa vie, dans son âme d’artiste , qu’il a réussi à exprimer grâce aux notes;du pire peut il naitre le beau ? nous sommes des êtres humains, et votre magnifique texte nous le prouve……nous marchons toujours sur une corde raide:bu bon ou du mauvais coté….tout peut vaciller si vite… Merci Carole
Merci Mireille. J’ai voulu exposer des idées qui sont importantes pour moi, car, comme vous le dites si bien, il est tellement troublant de voir que l’art peut s’associer au mal, ou au moins coexister avec lui, dans les âmes, dans le monde. Il ne « corrige » jamais le mal, à mon avis, mais il permet de rétablir un équilibre humain, car le beau pèse aussi dans la balance…
Et qui sait si dans la vie, l’humain ne doit pas rester toujours sur cette fine ligne équilibre, toujours entre les deux…
Touchée!
Entre boucherie et art, on cherche cet équilibre. il est difficile de juger, effectivement, car peu de gens sont à l’abri de tels débordements.
Ce ne sont qu’émotions, celles qui nous dominent et auxquelles il est si difficile de résister.
Et le juge dans ce texte résiste, même s’il est pris par la beauté de la musique, il n’oublie pas la juste raison. Cette balance sans laquelle nous ne serions dans le quotidien tyran de tous, et de nous-mêmes en premier. Cette balance qui disparaît dès lors qu’il y a désordre, c’est à dire conflit, quand la peur toute puissante fait commettre les pires atrocités.
Antonio Damasio (neurologue) dans « l’autre moi-même » démontre combien les émotions nous conduisent et il nous dit qu’elles sont celles par qui tout arrive, la connaissance aussi, toute connaissance.
Juger, c’est se séparer de nos émotions, ne regarder que les faits, éviter d’impliquer les siennes.
Pas si évident d’être juge parce que tout juge est humain. C’est en quoi ce texte est pertinent sur les qualités d’un juge, à la fois humain, il reconnaît ses propres émotions, mais avant tout dans l’objectivité des faits pour que la loi – les règles de vie commune – nous protège.
Merci Polly pour ce beau commentaire réfléchi qui complète bien mon propos.