La fille de la cabine téléphonique

Le petit appartement était entièrement plongé dans l’ombre maintenant. Et personne n’avait appelé. De toute la journée. Personne.

Elle se dirigea vers la fenêtre pour fermer les volets. Puisqu’il n’y avait plus rien à attendre. Puisque personne n’appellerait plus. Autant aller dormir. Qu’elle fasse enfin silence, la lumière du dehors. Qu’ils se taisent et s’éteignent, ces réverbères, ces phares et ces néons grésillant sur les vitres toute leur absurde joie factice.

S’étendre, se reposer, dans les ténèbres qui apaisent…

Elle ouvrit la fenêtre, se pencha. L’air était d’une étrange tiédeur, par-dessus le fracas des voitures, et le géranium chétif posé dans son pot bleu sur le rebord de zinc ouvrait vers elle, sous le ciel qui s’approfondissait, des fleurs d’un rouge si délicat, si transparent, si précieux qu’elle resta un instant, surprise, à regarder. Un beau soir, pensa-t-elle. Un beau soir tout de même.

L’horloge de Saint-Firmin sonnait dans le lointain. Très lentement, très calmement, avec cette douceur bourrue des vieilles cloches évitant de blesser les coeurs humains. Il était dix heures. Ses yeux s’emplirent de larmes. Mais elle avait décidé de ne pas pleurer. Elle ravala ses sanglots. C’était tellement idiot d’avoir attendu ainsi.

On entendait rouler, venue des rues animées toutes proches, la rumeur gaie des soirs d’été. Cela montait par vagues, se mêlant à la houle des voitures, comme un courant plus léger dans la ville agitée. Elle se souvint, brusquement, des plages d’autrefois, des séjours à La Baule avec Pascal et avec les enfants, des cris aigus des tout petits et des appels heureux qui résonnaient dans la rumeur des flots. Alors quelque chose, tout au fond d’elle, céda, et elle se mit à pleurer à gros hoquets, la tête entre les mains, sans pouvoir s’arrêter.

Ne pas se laisser aller…

Se ressaisir…

Elle s’essuya les yeux. Le mieux, pensa-t-elle, ce serait de sortir… C’était un si beau soir.

Sortir, marcher, aller dans la nuit tiède, fendre la foule, ne plus penser à rien, sentir sur ses épaules la douceur de l’été. Oui, c’était le mieux. Elle allait se promener un moment, tout simplement, une demi-heure, une heure peut-être, avant de se coucher. Quitter pour la joie des rues son étroit logement solitaire et obscur. Puisque plus personne n’appellerait. Cela lui ferait du bien. C’est ce qu’elle aurait dû faire plus tôt. Assurément.

Se ressaisir…

Agir…

Quand elle sortit sur le palier, trop vite, la porte claqua d’un coup sec.

Elle n’avait pas emporté la clé.

Elle avait toujours redouté cet accident – pourquoi installait-on de telles portes, privées de poignées, qui se claquent sans qu’on puisse crier gare, qu’on ne peut plus rouvrir ? Elle savait bien pourtant qu’il ne fallait pas laisser la fenêtre ouverte, provoquer des courants d’air. Elle aurait dû faire attention.

« Et puis tant pis », songea-t-elle avec une insouciance qui la surprit. « Porte claquée, clé disparue, me voici à la rue » C’était comme une comptine. Elle sourit… Elle était si bizarrement détendue, après l’énervement de la journée. « Plus de clé, pas de sac, pas d’argent… et alors ? Pour une fois…  Qu’est-ce que ça fait ? On verra bien… »

Elle prit par la rue du Change, suivit ensuite la rue Félix, descendit la Côte-Mariton, en direction de la place Royale. Les terrasses de café s’étageaient dans les rues, tables et chaises brinquebalant sur les pavés, chargées de jeunes gens bruyants qui buvaient et riaient, dans un fracas de cour de récréation, un grand tumulte de jeunesse étudiante. On était bien. Elle s’assit à une table, au hasard, puis se souvint qu’elle n’avait pas pris d’argent. Elle se leva, marcha plus loin, jusqu’à Saint-Firmin. L’église était belle, modelée par la nuit, sculptée par les projecteurs qui ouvraient de profonds sourires aux masques des gargouilles, et dessinaient des yeux vivants aux saints de pierre usée.

Elle se promenait si rarement le soir. Et le jour… le jour… pas davantage, en fait. Depuis qu’elle habitait le quartier, elle n’était guère sortie. Seulement pour aller travailler, faire quelques courses à la supérette de l’avenue de Bel-Air, ou prendre le pain rue Félix. Pourquoi donc ? C’était pourtant un coin agréable… Il faudrait qu’elle s’accorde plus souvent des loisirs, à l’avenir. Après tout, elle était libre, n’est-ce pas ? Puisque personne ne l’attendait. Qu’elle n’avait personne à attendre. Libre. Comme l’air des soirs d’été. Tout à fait libre de sortir et de prendre un peu de bonheur à flâner.

Un ivrogne trébucha devant elle. C’était un homme déjà vieux, avec de longs cheveux gris tressés en dreadlocks aussi feutrés que des mèches de paille, et un drôle d’habit brun très sale. Elle s’écarta. L’odeur de l’homme était épouvantable. Il se redressa, fâché, la dévisagea, parut réfléchir, puis, la montrant du doigt, déclara avec conviction : « Mémé ! » Elle marcha plus vite. Derrière elle, l’homme indigné cria : « Mémé, va ! Mémééé Mémééééééé ! » On aurait cru qu’il la dénonçait, qu’il voulait que chacun sache… Quelle voix… si criarde, si dure, elle faisait mal à entendre.

Elle hâta le pas, puis peu à peu s’apaisa, reprit sa lente errance. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire, après tout, ce que braillait ce pauvre type ? C’était lui qui était à plaindre, évidemment, lui qui voulait la repousser, mais qui était bien moins en ce monde que n’importe quelle mémé, lui le misérable, lui le clochard. Quelle pitié… Et elle, pourquoi se sentait-elle ainsi honteuse, solitaire, dénudée, pour presque rien, quelques mots de travers, des imprécations d’ivrogne, jetées au hasard d’un coup de vin. « Mémé », quelle sottise… Elle n’avait tout de même que cinquante-six ans. Tout juste. Qu’est-ce qui lui avait pris, à ce Job du trottoir ? Et puis ? Quelle importance ? Pauvre homme… Elle allait rentrer chez elle, de toute façon, maintenant. Il devait être au moins onze heures. Plus peut-être. Machinalement, elle chercha son téléphone dans son sac… se souvint qu’elle n’avait pas de sac, pas de téléphone, pas d’argent, pas de clé… En toute autre circonstance, la situation l’aurait affolée… mais là, dans la rue tiède, sous le velours profond du ciel d’été, elle se sentait très calme, détachée, presque sereine.

La nuit était si douce. Elle irait à l’agence le lendemain, quelqu’un lui prêterait les clés, ou viendrait lui ouvrir, voilà tout… Ils avaient des doubles, là-bas. Elle en serait quitte pour passer la nuit dehors, par ce temps ce n’était rien de grave, au fond. Une expérience à faire, tout simplement. Il y avait tant de monde encore dans les rues, la fête se poursuivrait, rue Félix et Côte-Mariton, jusqu’à l’aube. Elle flânerait parmi les groupes, elle s’assiérait sur un banc, elle marcherait. Elle dormirait le lendemain, quand elle aurait récupéré des clés. Dormir toute la journée… Pourquoi pas ? Puisqu’elle ne travaillait pas cette semaine-là. Qu’elle était en congé, en vacances, en vacance, comme avait écrit joliment Julien, sur la carte postale si gentille qu’il avait envoyée de Berlin, l’an dernier.

C’est à ce moment qu’elle aperçut la fille.

Sur le sol de la cabine téléphonique la fille se tenait assise sur un grand couvre-lit rouge, le dos contre la paroi de verre. Devant elle, sur le trottoir, cinq petites bouteilles vides étaient disposées en arc de cercle autour d’un tas de vieux Points de vue-Images du monde. Elle était toute jeune, avec de longs cheveux bruns frisottés et bouffants, et elle portait une jupe à volants très seyante, tout à fait inattendue. Une jolie fille, qui ressemblait… enfin une jolie fille, oui, presque bien habillée. Et qui lisait Points de vue-Images du monde, comme tante Elise, autrefois, dans sa cuisine, à Amiens. On en avait retrouvé des piles à la cave au moment de la succession. Pauvre fille, elle devait faire les poubelles. Quelle pitié. On en voit tant de nos jours, qui tombent et ne se relèvent plus… Hop, à la rue… et ouste, au caniveau des vies… Un monde cruel et insensé, celui d’aujourd’hui, qui pousse ainsi sur le bord, comme une écume, tant de gens, tant de pauvres gens.

Elle poursuivit son chemin jusqu’à la place Saint-Nicolas. Un couple marchait en s’embrassant, au bord de la fontaine, silhouettes très menues près des hautes statues. Les dauphins du bassin crachaient vers leurs ombres légères une eau noire pailletée de reflets. Puis le couple disparut soudain, comme avalé par la nuit. Elle s’arrêta, hésita un instant, se décida, rebroussa chemin, redescendit très vite la rue Saint-Nicolas, et se planta devant la fille de la cabine téléphonique.

-Mademoiselle… mademoiselle… excusez-moi… je vous ai vue… vous n’allez pas passer la nuit ici ?

-C’est pas grave, dit la fille.

-Mais c’est tellement affreux…

-C’est pas grave, je te dis. Ça va.

-Mais… mais il faudrait…..

-Comment que tu t’appelles ?

-Comment je m’appelle ?

-Ouais. Comment que tu t’appelles ? Si on se parle, faut que je sache ton nom et faut que tu saches le mien..

-Odile. Je m’appelle Odile.

-C’est joli, Odile.

-Ma mère était alsacienne, c’est elle qui a choisi mon prénom.

-Moi, c’est Vanessa. Et ma mère, je l’ai jamais connue. Enfin, pour ainsi dire… Ça devait être une fille de l’air, ou une fille du trottoir… je dis ça en blaguant, mais va pas croire que je me marre… Enfin, c’est pas grave…  Je suis de la DDASS, comme on dit, de l’Assistance…

-Oh…

-C’est pas grave. Et t’as quel âge, Odile ?

-Cinquante-six ans. Cinquante-six, tout juste. Aujourd’hui.

-Ah tiens, c’est ton anniversaire alors ?

-Oui, oui, mais… Vous pourriez aller à l’hôtel, mademoiselle, peut-être ? Je vais vous accompagner… je m’occuperai…

-Non. J’irai pas à l’hôtel, jamais.  Je préfère être chez moi.

-C’est si cher de se loger…

-Non, ça va. Je louais un petit truc à cinquante euros, avant, tout petit, pas beaucoup plus grand qu’ici, mais très fonctionnel.

-Et vous avez dû partir ?

-Ouais. Des histoires pas possibles. Tu sais, à un certain moment, on se retrouve dehors, on sait même pas pourquoi. Des histoires, des bêtises qui s’enchaînent. Mais c’est pas grave. J’habite ici, maintenant, en somme. Le soir, je m’installe, on me laisse tranquille, j’ai un toit, ça va… c’est pas mal, ici, une belle cabine… pour handicapés, alors tu vois qu’elle est vaste… j’ai de la chance d’avoir trouvé ça, c’est un truc rare, les cabines handicapés… par contre, j’ai pas de porte, on peut pas tout avoir, tu vas me dire, c’est pas grave, au moins j’ai l’espace…

-Mais… tout de même… enfin… vous… vous pourriez demander de l’aide, je pense… il y a des associations, je connais quelqu…

-Ouais, les associations… j’y suis allée, la Croix rouge, tout ça, on m’a pas donné de logement, ils ont pas de logements pour les gens comme moi. Mais c’est pas grave, ça va, c’est pas grave. Toi, par contre, ma belle, t’as pas l’air d’aller bien, t’as le visage tout retourné, t’as pleuré, ça se voit… Qu’est-ce qui t’arrive… ?

-Rien, rien.

-C’est à cause de ton anniversaire ?

-Si on veut… c’est idiot… je vais quand même vous expliquer, mais c’est idiot, vous allez dire que c’est idiot. Voilà : toute la journée j’ai attendu… j’ai attendu que les enfants m’appellent… au téléphone… pour mon anniversaire…

-Et ils ont pas appelé ? C’était couru. Ils avaient autre chose à faire, faut croire. Ils doivent être grands, tes enfants, ils ont leur vie. Moi, je vais te faire rigoler : je sais même pas où elle est, ma mère, alors son anniversaire… Juste pour te dire que c’est pas grave, tout ça, c’est pas grave.

-J’ai eu… j’ai quatre enfants…

-Quatre ? Ben dis donc, quatre ! Et tu les as élevés tous les quatre ?

-Quatre… oui, j’ai élevé mes quatre enfants… j’étais même… vous savez… une mère au foyer… il n’y a pas longtemps que j’ai repris un travail… j’ai été obligée, à la suite de certains événements, enfin je… alors je pensais… ce matin, en me levant, j’ai pensé… sur les quatre, il y en a bien un qui se dira que c’est mon anniversaire aujourd’hui, un qui appellera gentiment, ou qui aura pensé à envoyer une jolie carte. J’ai attendu, je suis allée voir le courrier, j’ai attendu encore… L’an dernier, ça tombait un dimanche, on avait fait une petite fête, chez ma fille de Nice, j’étais venue en vacances… Enfin, c’est du passé… et là, aujourd’hui, c’est tellement idiot… j’ai attendu, j’ai attendu toute la journée…

-Pourquoi que tu les as pas appelés toi-même, tes gosses, puisque t’avais tant de peine ?

-Mais… c’était mon anniversaire… je ne pouvais tout de même pas… ça ne se fait pas…

-Oh, tu parles… c’est pas grave. T’aurais dû les appeler. Moi, si ma mère m’appelait, ça me ferait plaisir, tu peux pas savoir… « Allô ? c’est moi, ta mère, j’ t’appelle depuis ma rue en Enfer… » -Enfin ça risque pas, évidemment. J’avais trois ans quand elle a demandé qu’on me place. J’ai vu les papiers. Paraît-il qu’elle m’a reprise un moment, mais je me souviens pas… Et mon père, pffffui… je sais même pas son nom, tu penses bien… Cinq familles d’accueil, que j’ai connues, et le foyer, je te raconte pas… Mais c’est pas grave… Allez, on va leur téléphoner tout de suite, à tes gamins, tiens… on les appellera les uns après les autres. Y en aura bien un dans le tas pour répondre… T’as ton portable ?

-J’ai… j’ai claqué la porte en sortant, je ne pouvais plus rentrer… je n’ai pas… je n’ai rien… je n’ai même pas mes clés…

-Ah, là tu me fais marrer : t’es comme moi, en somme…  Dire que j’ai pas de carte pour téléphoner, ici… il faut des cartes, maintenant, dans les cabines, c’est comme ça. Mais c’est pas grave. On les appellera demain, tes mômes. J’ai un pote qui a une carte. Qu’est-ce qu’ils font tes enfants, dans la vie, comme on dit ?

-L’aîné est à Berlin. Un job un peu précaire, mais très intéressant. Dans la culture.

-Ouais, Berlin… Et les autres ?

-Le second est à Bruxelles. Il travaille à la Commission européenne… une excellente situation…

-Ouais, à Bruxelles…

-J’ai aussi une fille qui est mariée à Nice… Elle est avocate, là-bas. Et la dernière est serveuse à Madrid. Mais c’est provisoire. Un petit boulot d’étudiante. Elle va revenir bientôt… elle apprend l’espagnol pour devenir professeur…

-Professeur, ouais, ouais… A Moscou, ouais… Bon, de quoi tu te plains ? Ils ont bien réussi tes enfants, c’est ce que tu voulais, non ? C’est pour ça que tu les as élevés, je suppose ? Ils habitent pas dans une cabine téléphonique, alors ils peuvent pas t’appeler comme ils veulent… je rigole là, excuse-moi, je devrais pas… mais je voulais juste te dire, Berlin, Moscou, Pékin, tout ça, c’est pas grave. Ils sont partis, voilà. Et maintenant, ils appellent, ils appellent pas, tant pis. Tu vis seule sinon ?

-Mon mari… mon ancien mari je veux dire… est parti… avec une femme… une jeune femme… enfin… ils viennent d’avoir un bébé…

-Ouais, je vois… j’ai lu quelque chose de marrant dans un journal que j’ai trouvé ce matin : ton homme, c’est juste un monogame sériel… bien dit, pas vrai… j’ai lu ça… bon, j’ai eu un peu de mal à comprendre d’abord, ensuite j’ai bien rigolé… Je devrais pas me marrer maintenant, je sais, parce que toi, t’as pas le moral. Mais, je voulais juste te dire, ton mari, tout ça, c’est pas grave.

-Il avait eu l’élégance de m’appeler pour mon anniversaire, tout de même, l’an dernier, chez ma fille de Nice, et de faire envoyer des fleurs.

-Ouais, mais ça pouvait pas durer.  Quand je disais seule, je voulais dire, t’as même pas un chien avec toi ? Moi je vais prendre un chien.

-J’ai un très petit logement…

-Tu me fais marrer, toi… Bon, t’en fais pas. C’est pas grave. Mais j’y pense, là, tu sais peut-être pas où dormir, cette nuit, si t’as perdu tes clés ?

-Je… je pensais… j’avais pensé…

-Ouais, je vois… alors je t’invite. Vaut mieux pas que tu passes la nuit dehors, c’est pas un coin pour toi ce coin-là, j’t’en dis pas plus, t’aurais peur… Et puis les petits matins sont frais, c’est un truc qu’on apprend tout de suite dans la rue : faut jamais rester à découvert au petit matin, même les beaux jours d’été la rosée est glacée… Mais c’est pas un problème, t’as qu’à venir chez moi… On va se serrer un peu, c’est pas grave, t’es pas grosse… on aura plus chaud comme ça, demain à la fraîche. Au jour, tu verras les choses comme elles sont. Et fais gaffe, ici, c’est d’abord le froid, puis c’est les boueux qui vous réveillent. C’te raffut qu’ils font… Mais c’est pas grave, au contraire, ça permet d’être prêt pour chercher son p’tit déj, dans les poubelles qui traînent, avant qu’ils aient tout ramassé. Après, forcément, direction les bains-douches… je te montrerai. J’ai la bonne vie, tu verras…

La fille se leva, poussa les bouteilles qui tintèrent, tira le couvre-lit, disposa soigneusement sur le sol en guise de matelas les vieux numéros de « Points de vue-Images du monde« , la fit entrer, puis referma sommairement la cabine avec quelques panneaux de carton. Elles se calèrent, épaule contre épaule, recroquevillées dans la pénombre, sous l’étoffe rouge qui leur faisait une grande couverture soyeuse.

-Ça me fait penser que j’t’ai pas dit mon âge… vingt-deux ans demain, tout juste, c’est marrant, non ? C’est mon anniversaire aussi, demain, et demain c’est aujourd’hui, comme qui dirait, à cette heure-ci… Tu vois qu’on a bien fait de se rencontrer…

-Vingt-deux ans… c’est l’âge de ma dernière… vingt-deux ans, la vie devant soi… elle s’appelle Anne-Laure.

-Ouais, dit la fille en bâillant, celle qui est à Milan.

Puis, avant de s’endormir, elle murmura encore : « T’en fais pas, va, c’est pas grave, j’te dis… c’est pas grave… »

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16 commentaires pour La fille de la cabine téléphonique

  1. almanitoo dit :

    Ces deux là se ressemblent, mais l’une a tout perdu tandis que l’autre n’a jamais rien eu.
    Je me demande la quelle va s’en sortir, celle qui n’a jamais eu les clefs ou celle qui justement les a perdues…
    Le terrible « c’est pas grave » de Vanessa est peut-être pessimiste tout comme il peut révéler qu’au fond d’elle même, elle sent que tout est possible…
    Ton regard attentif, avec ses deux personnages sur un fil, en bordure du désespoir, me touche particulièrement.

    • carolechollet dit :

      Merci Almanitoo. Comme toujours, ton commentaire me bouleverse par la précision de la lecture qu’il manifeste. On croirait que tu entres dans le texte « en train de s’écrire », avec toutes ces questions non résolues qui le portent.

  2. jill bill dit :

    Bonsoir Carole… Pour une fois qu’elle se décide à sortir…. elle va passer la nuit dehors avec la jeune femme… Oui ma foi cette rencontre va sans doute un peu changer leur vie… Et si la dame d’âge mûr prenait chez elle la jeune femme quelques temps…. Pour l’une trouver une mère, pour l’autre une fille…. Merci… Jill

  3. Catheau dit :

    Sortir de soi pour aller vers l’autre, cette histoire nous le dit avec réalisme et justesse. Merci, Carole.

  4. Quichottine dit :

    Ton récit est incroyablement vrai.
    On a envie qu’elles s’en sortent toutes les deux, peut-être ensemble, qui sait ?

    Merci encore pour ce moment de lecture émouvant.

  5. louv' dit :

    Un petit coin de cabine téléphonique contre un coin de paradis…C’est peut-être exagéré, mais je le ressens ainsi. Rien ne vaut la chaleur d’un corps contre un autre, quand personne n’appelle…

  6. mansfield dit :

    Un texte poignant car avant d’avoir vécu l’une a parcouru à cent à l’heure les étapes cruelles de la vie de l’autre. Pas tout à fait les mêmes étapes mais une même souffrance les accompagne. Très juste, très lucide, et jamais désespéré. Comme s’il fallait se laisser porter, demain est un autre jour dirait Scarlett…

  7. Cardamone dit :

    Magique rencontre qui révèle les 2 personnages dans toute leur beauté. Ces 2-là sont si différentes et si pareillement attachantes par la grâce de ton écriture, de ton conte d’été réaliste qui nous rafraîchit le coeur par une belle espérance humaniste – comme il y a les contes de Noël pour nous le réchauffer… On leur souhaite bien sûr un très très bel anniversaire!

  8. zadddie dit :

    Les aléas de la vie….un jour tu « gagnes », un jour « tu perds », ..ou tous les jours « tu gagnes » ou tous les jours « tu perds »….c’est pas grave comme elle dit…une philosophie que l’on aurait « intérêt » à faire sienne

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